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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/437

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au soir de la pensée

bations. « Le peuple veut », nous dit-on. Il veut d’une volonté d’autant plus énergique que demain peut-être il ne voudra plus — se désintéressant jusqu’a l’indifférence, jusqu’au désaveu de ce qu’il a voulu. Les chefs suivent à la file fièrement, anxieux d’obéir aux irresponsables. Un torrent de « volontés » s’écoule, un autre survient, et le spectacle recommence sans jamais se fixer. Le parlement parle par définition, en attendant l’action qui viendra peut-être quand l’heure en sera passé. Cependant, le vaticinateur qui a mis en mouvement cet « organisme » de décision publique découvre qu’il y a loin de l’idée à la réalisation.

L’idéologue ne fait point de miracles. Il s’en tient congrûment au charme décevant des abstractions réalisées. Il y découvre la somme de mystère qu’il y a préalablement déposée, et conclut que sa formule entraînera, quelque jour, l’humanité. Pour la réalisation de l’idée, il faut convaincre d’abord, convaincre, tout au moins, l’instable majorité. Que de thèmes, que de controverses, que de débats, que de résistances de l’atavisme conservateur et des ambitions d’absolu où se perdent les rêves ! A mi-chemin des connaissances et des méconnaissances mêlées, la foule ne demande qu’à comprendre, mais ne peut pas toujours se trouver munie des moyens nécessaires. Elle fera donc acte de foi, plutôt que de compréhension sur documents d’expérience. Son oui sera de catéchisme et point de laboratoire. Alors, que dire, et surtout que faire, quand on lui demandera de passer à l’action ?

L’action d’humanité ordonnée veut un cerveau, un cerveau de culture. Elle n’exigera pas d’une façon moins pressante un tempérament approprié. Persuader, vaincre les résistances, s’imposer, à force d’héroïque endurance, pour se heurter à toutes les accusations, à toutes les haines avec toutes leurs conséquences, cela ne peut-il faire hésiter ? L’homme d’action, qui n’est pas toujours l’homme de l’idée, en viendra, cependant, à prendre son parti. Mais quoi ? Il ne s’agit pas ici d’une armée en manœuvre. La coutume est plutôt d’obéissance à volonté, c’est-à-dire de quelque chose qui touche de très près à l’anarchie. Sera-t-on vaincu ? C’est éternellement à recommencer. Vainqueur ? Rien de plus embarrassant que la victoire. Car la victoire c’est l’obligation d’aborder la pratique sans