Aller au contenu

Page:Coenobium - volume 4.1, 1910.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de l’intellect abstrait, ni une expérience rationaliste. L’intuition, l’expérience mystique est antérieure à toute conscience rationalisée, à toute opposition rationnelle du sujet et de l’objet. Outre l’expérience sensible et les abstractions de l’entendement, la philosophie russe reconnaît une source plus haute et immédiate de connaissance. Nous touchons ici à la question des rapports de la connaissance et de la foi, de la philosophie et de la religion.

La pensée européenne de notre temps a définitivement séparé la connaissance d’avec la foi, la philosophie d’avec la religion. La philosophie européenne s’est renouvelée en protestant contre la situation qui lui était imposée au moyen-âge, elle s’est pleinement différenciée en s’opposant consciemment à la foi et à la religion. La philosophie russe unit la connaissance et la foi, et voit dans la « connaissance » une forme partielle de la foi, et dans la « foi » la forme intégrale de la connaissance. En Russie la philosophie et la religion sont étroitement pénétrées ; la philosophie est toujours, consciemment ou inconsciemment, religieuse dans ses plus hautes manifestations, elle est soumise à la Gnose religieuse. La philosophie russe est en même temps une théosophie. Comme les grands artistes russes, les philosophes russes ont cherché le sens de la vie et c’est pourquoi la philosophie est devenue pour eux la connaissance de Dieu. Ceux des philosophes européens dont les philosophes russes se rapprochent le plus sont Schelling et en partie Leibnitz. Mais la clef de voûte de l’édifice philosophique russe est toujours Platon.

Le fondateur de la philosophie russe fut le slavophile Khomiakow. Les conceptions philosophiques de cette forte intelligence eurent leur influence vers 1840. Il eut pour maîtres Hegel et Schelling, il s’assimila les grandes traditions de l’idéalisme allemand. Mais nul en Europe n’a donné de critique plus forte et plus aiguë de l’idéalisme abstrait et du rationalisme de Hegel. Il a mieux compris qu’aucun autre que le développement de la philosophie abstraite et rationaliste aboutit nécessairement à Hegel et que le panlogisme hégélien conduit au vide, à l’idée vide privée de son substrat vivant. Khomiakow a prévu que, dans ses recherches du substrat de l’idée, la philosophie européenne rencontrerait le matérialisme sur sa route. L’autre voie sur laquelle Khomiakow s’engagea lui-même est celle de l’idéalisme concret avec l’expérience mystique intuitive et immédiate de l’Être. La philosophie abstraite ne peut rien atteindre par elle-même ; elle aboutit fatalement à des concepts vides, à la suppression de l’Être même. L’acte de