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Page:Coenobium - volume 4.1, 1910.djvu/11

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abstrait dans ses deux formes : le rationalisme métaphysique fondé par Descartes et parfait par Hegel et la critique de toute philosophie abstraite, de tout rationalisme positiviste, qui règne dans la philosophie de notre époque sous le nom obscur d’empirisme. Pendant qu’en Allemagne l’idéalisme abstrait et rationaliste de Hegel devenait feuerbachisme et matérialisme, et que la philosophie européenne cherchait, dans l’expérience sensible et dans la matière, à retrouver l’Être, en Russie l’idéalisme abstrait de Hegel devenait l’idéalisme concret, la philosophie russe originale et c’est dans l’Être concret et vivant que la pensée russe retrouvait l’Être perdu. La philosophie russe originale est partie de l’idée que l’Être vivant n’est fourni ni par la raison, ni par l’expérience, mais par l’expérience mystique. Dans la philosophie de Hegel l’Idée s’anéantit parce qu’elle perd à jamais son substrat, dans la philosophie russe l’idée devient l’Être vivant et trouve son substrat. En Europe la philosophie se divise définitivement en rationnelle et irrationnelle ; en Russie la philosophie devient sur-rationnelle. En Europe la philosophie s’est définitivement transformée en théorie de la connaissance ; en Russie la philosophie n’a pas cessé d’être ontologique et de se donner pour tâche la construction d’une théorie de l’Être. On sent dans la philosophie européenne de notre époque le détachement maladif des racines de l’Être, la perte de conscience de la réalité, la séparation du sujet et de l’objet, l’impuissance de la pensée à saisir l’Être. En devenant objet l’Être se rationalise et meurt, toute vie indépendante sort du domaine de la connaissance. Dans la philosophie russe, la confiance dans la réalité de l’Être et la réalité de la vérité n’est pas perdue : nos philosophes acceptent que les vraies réalités sont données à notre conscience et affirment que l’on peut entrer en contact immédiat avec l’Être. Dans leurs théories de la connaissance, les philosophes russes n’appartiennent ni au phénoménismes, ni à l’idéalisme rationaliste ou empiriste, mais ou réalisme transcendant, qui, intimement, s’identifie avec l’idéalisme concret. Si l’on tient la raison et l’expérience abstraites pour les seules sources de la connaissance, on aboutit fatalement à la séparation avec l’Être : l’Être concret, vivant, réel, n’est donné ni dans la raison avec toutes ses déductions possibles, ni dans l’expérience sensible avec toutes ses inductions possibles. Le criticisme néo-kantien n’est qu’un compromis entre le rationalisme et l’empirisme et ne sort pas du cercle ensorcelé. Il est trop clair que la réalité de l’Être ne peut être donnée qu’intuitivement, dans l’expérience mystique qui n’est ni un acte