Aller au contenu

Page:Collins - Le Secret.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’arrêt de la boîte à musique. « Mozart, ajoutait-il gravement, Mozart peut bien attendre que je vous aie dit certaines choses… Prêtez l’oreille, Sarah, tout en buvant votre thé… vous reconnaîtrez si je dis vrai ou non… Quel langage vous ai-je tenu, moi, Joseph Buschmann, lorsque vous vîntes me trouver dans votre chagrin, il y a de cela quatorze… quinze… non, davantage… seize ans, ma foi !… dans cette ville, et dans cette même maison ? Je vous ai dit alors ce que je vous répète aujourd’hui : la peine de Sarah est ma peine, la joie de Sarah est ma joie, et si quelqu’un me demande pourquoi cela, j’ai trois bonnes raisons à lui donner. »

Il s’arrêta ici pour remuer encore le thé de sa nièce, et lui rappeler, en frappant quelques petits coups sur le bord de la tasse, que ce thé demandait à être bu.

« Trois raisons, reprit-il : d’abord vous êtes l’enfant de ma sœur… sa chair et son sang… un peu ma chair et mon sang, par conséquent. En second lieu, ma sœur, mon frère, enfin moi-même, nous devons tout, oui tout, à l’Anglais, votre bon père. Les amis qu’il avait se récriaient tous : « Ah ! fi… Agathe Buschmann est pauvre ; Agathe Buschmann est étrangère ! » Mais votre père aimait Agathe Buschmann, et, nonobstant leurs : Fi ! fi ! il l’épousa bel et bien. Les voilà qui recommencent : « Agathe Buschmann a un frère musicien… qui ne fait que rabâcher du Mozart, et qui, en attendant, ne sait pas mettre du sel dans sa soupe. » Fort bien, répond votre père. J’aime son rabâchage, moi ; j’aime sa musique. Je lui trouverai des élèves, et, tant que j’aurai du sel dans ma cuisine, il pourra saler son potage, lui aussi. Pour la troisième fois, nouveaux : Fi ! fi !… « Agathe Buschmann a un second frère, un petit cerveau fêlé qui ne sait qu’écouter le rabâchage de l’autre, et dire : Amen ! Au moins, pour celui-là, porte close. Envoyez-le courir le monde !… Ne gardez pas avec vous ce cerveau fêlé ! » Et votre père de dire : « Non, cerveau fêlé a dans les doigts tant d’esprit ! Il sait tailler, sculpter, polir le bois. Aidons-le un peu au début. Plus tard, il se tirera d’affaire… » Et tous, maintenant, ils sont partis !… Père, mère, oncle Max… tous partis, excepté moi. Cerveau fêlé reste seul, seul à se rappeler, et à savoir gré… Aussi prend-il pour son chagrin le chagrin de Sarah… et la joie de Sarah pour sa propre joie. »

Il s’arrêta une fois encore, pour souffler un peu de poussière qui faisait tache sur le bois poli de la boîte à musique.