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Page:Collins - Le Secret.djvu/165

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Sa nièce voulait parler ; mais son doigt, levé sur elle par un geste significatif, l’avertit qu’il n’avait pas achevé sa harangue.

« Non, lui dit-il… j’ai encore à parler, moi… et vous, vous avez votre thé à prendre. Ne faut-il pas que j’allègue ma troisième raison ? Ah !… vous détournez les yeux de moi… Avant que j’ajoute un mot, vous la savez déjà, ma troisième raison. Quand je me marie à mon tour… quand ma femme meurt, me laissant seul avec le petit Joseph… et quand cet enfant tombe malade, qui vient alors à moi ?… si douce, si attentive, si soigneuse, m’apportant ses bons yeux brillants de jeunesse et ses mains si adroites, si légères, si actives… Qui passe avec moi les nuits et les jours auprès du petit Joseph ? Qui de son bras fait un oreiller pour sa tête fatiguée ? Qui tient patiemment, à son oreille, cette même boîte… oui, cette boîte qu’ont touchée les mains de Mozart ?… Qui la tient de plus en plus près, à mesure que les sens du petit malade s’émoussent de plus en plus ?… lorsqu’il pleure pour avoir cette musique, son amie d’enfance, qui l’endormait naguère en son berceau, et qu’il entend maintenant à grand’peine ? Qui s’agenouille auprès de l’oncle Joseph, quand son cœur est près d’éclater ?… Qui lui dit : « Calmez-vous ! chut ! pas de vain désespoir… l’enfant est allé entendre la musique d’en haut. Là où il est, la maladie ne le ronge plus, le chagrin ne l’atteint plus !… » Qui fait tout cela, dites ?… Ah ! Sarah, vous ne pouvez avoir oublié tout cela. Vous ne pouvez avoir perdu de vue l’autrefois lointain. Quand le chagrin vous est amer, quand vous pliez sous le fardeau plus lourd, c’est cruauté envers l’oncle Joseph que de vous tenir à l’écart ; c’est bonté pour lui que de venir le trouver. »

Les souvenirs que le vieillard venait d’évoquer s’étaient doucement frayé leur voie dans le cœur attendri de Sarah. Elle ne put lui répondre : elle ne put que lui tendre la main. L’oncle Joseph, s’inclinant, baisa cette main avec une galanterie surannée et presque comique. Il reprit ensuite, auprès de la boîte à musique, son poste habituel.

« Allons, dit-il, promenant sur le petit instrument une main caressante, nous pouvons bien en rester là pour le moment. Boîte de Mozart, boîte de Max, boîte du petit Joseph, nous vous rendons la parole. »

Après avoir mis en mouvement le frêle mécanisme, il s’assit près de la table, et n’ouvrit plus la bouche avant que l’air