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Page:Collins - Le Secret.djvu/309

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des larmes brûlantes lui montèrent aux yeux ; mais elle les essuya par un geste rapide, et continua d’une voix émue : « La jeune femme avait grandi et s’était mariée dans une ignorance absolue, notez ceci, dans une ignorance absolue de son véritable passé. La vérité, se révélant tout à coup, bouleversera tout son être… Elle se trouvera frappée à l’improviste par un malheur auquel elle n’aura aucune part. Elle sera écrasée, pétrifiée… Sa raison même fléchira devant ce désastre inattendu… Il viendra fondre sur elle au moment où elle n’a plus d’autre appui qu’elle-même… Elle pourra, si elle le veut, garder le secret de sa découverte… la cacher à son mari… sans encourir aucun péril… Elle subira là une rude épreuve. Dans sa fragilité d’être mortel, la pauvre créature se sentira ébranlée par une tentation passagère, mais terrible. Elle en triomphera, cependant… et, spontanément, de sa pleine et libre volonté, elle fera part à son mari de tout ce qu’elle aura ainsi appris… Maintenant, Lenny, comment appelez-vous cette femme ? Est-ce une trompeuse ?…

— Non : une victime.

— Une victime, oui !… qui va d’elle-même au-devant du couteau… et qui, sans doute, doit être sacrifiée ?

— Je n’ai point dit cela.

— Que feriez-vous d’elle, Lenny, si vous écriviez cette histoire ?… c’est-à-dire, comment comprendriez-vous la conduite que son mari doit tenir à son égard ?… C’est une question dans laquelle le caractère de l’homme joue un grand rôle… Et une femme n’est pas compétente pour la décider… Je suis embarrassée de cette fin d’histoire… Quel dénoûment lui donneriez-vous ?… » En achevant, sa voix, atténuée par degrés, était arrivée à l’accent d’une tristesse suppliante. Elle se rapprocha tendrement de son mari, et plongea ses doigts caressants dans les cheveux qu’il aimait à lui livrer : « Oui, cher bien-aimé, dites-moi comment vous comprenez ce dénoûment, » reprit-elle, se penchant vers lui jusqu’à ce que ses lèvres effleurassent le front du jeune homme.

Il s’agita dans son fauteuil, comme obsédé par cette embarrassante question, et répondit, hésitant :

« Mais, Rosamond, je ne suis pas un romancier, moi.

— Enfin, Lenny, que feriez-vous à la place de ce mari ?

— Je serais fort en peine de le dire, répondit-il… Je n’ai pas, ma chérie, votre fervente imagination… Je n’ai pas cette faculté de me placer à volonté, d’un moment à l’autre, dans