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Page:Constant - De l'esprit de conquête, Ficker, 1914.djvu/60

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On parle sans cesse du grand empire, de la nation entière, notions abstraites, qui n’ont aucune réalité. Le grand empire n’est rien, quand on le conçoit à part des provinces ; la nation entière n’est rien, quand on la sépare des fractions qui la composent. C’est en défendant les droits des fractions qu’on défend les droits de la nation entière ; car elle se trouve répartie dans chacune de ses fractions. Si on les dépouille successivement de ce qu’elles ont de plus cher, si chacune, isolée pour être victime, redevient, par une étrange métamorphose, portion du grand tout, pour servir de prétexte au sacrifice d’une autre portion, l’on immole à l’être abstrait les êtres réels ; l’on offre au peuple en masse l’holocauste du peuple en détail.

Il ne faut pas se le déguiser, les grands États ont de grands désavantages. Les lois partent d’un lieu tellement éloigné de ceux où elles doivent s’appliquer, que des erreurs graves et fréquentes sont l’effet inévitable de cet éloignement. Le gouvernement prend l’opinion de ses alentours, ou tout au plus du lieu de sa résidence pour celle de tout l’empire. Une circonstance locale ou momentanée devient le motif d’une loi générale. Les habitans des provinces les plus reculées sont tout à coup surpris par des innovations inattendues, des rigueurs non méritées, des réglemens