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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/148

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Le lendemain de son arrivée, le baronnet et M. Benfield eurent une longue conversation relativement à la fortune de Denbigh, et le vieux gentilhomme exprima avec véhémence tout le mécontentement qu’il éprouvait de ce qu’il appelait la fierté du jeune homme. Cependant, lorsque le baronnet, entraîné par sa franchise, eut laissé percer l’espoir qu’il concevait d’une union entre Denbigh et sa fille, M. Benfield se calma, et dit qu’en effet une pareille récompense était seule digne d’un pareil service. — Puisqu’il en est ainsi, dit-il, et qu’il doit épouser Emmy, il vaudrait mieux qu’il vendît sa commission dans l’armée ; il doit y avoir bientôt une élection, et je le porterai au parlement. Oui, oui, rien ne forme tant un homme et ne le met plus à même d’étudier le cœur humain que d’y siéger pendant une session, et toutes les connaissances que je puis avoir en ce genre, je les dois au temps que j’ai passé à la chambre. Sir Edward exprima son assentiment avec cordialité, et ils se séparèrent également satisfaits des arrangements qu’ils avaient pris pour assurer le bonheur de deux êtres qu’ils aimaient si tendrement.

Quoique les soins et la prudence de Mrs Wilson eussent toujours veillé pour éloigner de sa pupille ces idées enthousiastes et romanesques dont se repaissent tant de jeunes personnes, cependant les douces illusions auxquelles on est porté à se livrer sous l’influence de la jeunesse, de l’espoir et de l’innocence, inspiraient à Émilie une sorte de ravissement, inconnu jusqu’alors à son âme pure et tranquille. L’image séduisante de Denbigh se mêlait toujours à ses pensées, soit qu’elles eussent pour sujet le passé ou l’avenir, et elle était sur le seuil de ces châteaux imaginaires dans lesquels Jane se perdait ordinairement.

Émilie se trouvait dans la position qui peut-être est la plus dangereuse pour une jeune fille chrétienne : son cœur, toutes ses affections, étaient donnés à un homme qui paraissait les mériter, et qui était venu partager l’amour que jusqu’alors elle n’avait eu que pour son Créateur. Empêcher l’amour profane de devenir le plus fort, et soumettre ses passions aux plus puissantes considérations d’un devoir éternel et d’une pieuse gratitude, est une des épreuves les plus difficiles que puisse avoir à subir une âme chrétienne. Nous sommes plus enclins à oublier notre Dieu dans la prospérité que dans le malheur ; la faiblesse de la nature humaine nous porte à chercher du secours contre l’adversité ; mais la