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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/104

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et physique, qui, en me rendant la pensée, me ramenait les mille et une jouissances qu’entraîne cette précieuse faculté. La douce rêverie dans laquelle j’étais plongé ne tarda point cependant à être interrompue par un murmure sourd, qui provenait, à ce qu’il me parut, de plaintes proférées à peu de distance de mon lit. Me dressant sur mon séant, j’écoutai avec soin, non sans éprouver une profonde surprise ; car il était difficile d’imaginer d’où pouvaient sortir des sons aussi extraordinaires en pareil lieu et à pareille heure. La conversation était vive et même animée, mais tellement à voix basse que, sans le profond silence de l’hôtel, il eût été impossible d’en rien entendre. De temps en temps un mot venait frapper mon oreille, mais je faisais de vains efforts pour reconnaître au moins à quelle langue ces mots pouvaient appartenir. Ce n’était certes à aucune des cinq grandes langues de l’Europe, car je savais les lire ou les parler toutes ; et il y avait certains sons et certaines inflexions dans lesquelles je retrouvais quelques traces de la plus ancienne des deux langues classiques. Il est vrai que la prosodie de ces deux idiomes est un sujet éternel de controverses, le son même des voyelles étant purement de convention pour chaque peuple, puisque le mot latin Dux, par exemple, se prononce Ducks en Angleterre, Douks en Italie, et Duc en France : néanmoins il y a chez le véritable classique un je ne sais quoi, une certaine délicatesse d’ouïe qui le trompe rarement, lorsque arrive à son oreille le son flatteur de mots qui ont été employés par Démosthène ou par Cicéron. Dans le moment actuel, j’entendis distinctement le mot my-bom-y-nos-fos-kom-i-ton, qui était, à n’en pouvoir douter, un verbe à la seconde personne du duel, de racine évidemment grecque, dont il m’était impossible pour le moment de me rappeler le sens, mais dans lequel un érudit n’eût pas manqué de reconnaître la plus grande ressemblance avec un vers bien connu d’Homère. S’il m’était difficile de comprendre les syllabes qui parvenaient de temps en temps jusqu’à moi, il ne l’était pas moins de me rendre compte des inflexions de voix des divers interlocuteurs. Il était aisé de reconnaître qu’il y en avait des deux sexes ; mais ces sons n’avaient aucun rapport direct avec le sifflement des Anglais, la monotonie animée des Français, la sourde énergie des Espagnols, la bruyante mélodie des Italiens, les octaves si rudes des Allemands, ou enfin avec la prononciation brisée et décousue des compatriotes de mon