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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/171

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heur, sir John, c’est que nous soyons du mauvais côté de ces montagnes de glace, par la raison toute simple que Leaphigh en est au sud. Il ne faut donc pas nous endormir ; car que Stonington soit englouti s’il existe une frégate qui, avec une pareille bourrasque sur le dos, pût éviter plus d’une heure ou deux de donner sur ces rochers. Notre grande affaire à présent est de dénicher un trou dans lequel nous puissions nous faufiler.

— Eh ! quoi ? êtes-vous venu si près du danger sans en connaître les conséquences ?

— La nature, sir John, est la nature, voyez-vous ; et, à vous dire vrai, je me fais vieux, et je n’ai plus la vue très-longue. Et puis, je ne suis pas bien sûr que le danger soit plus dangereux parce qu’on le regarde face à face.

Noé leva la main comme pour dire qu’il ne demandait point de réponse, et nous nous mîmes l’un et l’autre à regarder de tous nos yeux du côté de la barrière infranchissable. Nous arrivions dans ce moment à l’entrée d’une petite crique qui se trouvait dans la glace, et qui pouvait avoir une longueur de câble de profondeur, et un quart de mille dans sa partie la plus large. Sa forme était régulière ; c’était celle d’un demi-cercle ; mais au bout de la glace, au lieu de former une barrière continue comme partout où nous avions passé jusqu’alors, elle était séparée par une étroite ouverture bordée de chaque côté par un pic menaçant. Les deux cimes se touchaient presque ; mais néanmoins il y avait entre elles un détroit, ou une gorge d’eau, de quelques centaines de pieds de largeur. Le navire plongea en avant, et nous pûmes jeter un coup d’œil à l’horizon sous le vent. Ce ne fut qu’un coup d’œil, car le Valrus, impatient, ne nous permit pas un long examen, mais il parut suffire au vieux capitaine. Nous étions déjà à travers l’embouchure de la crique ; ce qu’on pourrait appeler le petit cap n’était qu’à une longueur de câble de nous, et nous n’avions jamais été si près de la formidable montagne : c’était un de ces moments où tout dépend de la décision. Heureusement, Noé, qui était si circonspect et si temporiseur quand il s’agissait de faire un marché, ne réfléchissait jamais deux fois dans les moments critiques. Longeant la crique du côté de l’est, nous découvrîmes que la glace faisait un nouveau coude, qui donnait un peu plus d’eau sous le vent. Virer de bord était impossible, et la barre fut mise au vent. L’avant du Valrus s’abattit, et quand il se releva