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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/172

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Vsur la vague suivante, je crus que pour le coup nous allions être lancés sur la montagne ; mais le bon navire, obéissant au gouvernail, tourna sur lui-même, comme s’il comprenait le danger, en moins de temps que je ne le lui avais jamais vu faire ; et nous sentîmes le vent de l’autre côté. Nos chats, nos tigres et nos chiens s’exécutèrent ; car il n’y avait personne, à l’exception du capitaine, dont le cœur ne battît violemment. En moins de temps que jamais, les vergues furent brassées dans la nouvelle direction, et le vaisseau se mit à labourer pesamment les vagues, la proue dirigée à l’ouest. Il est impossible à celui qui ne s’est jamais trouvé en pareille situation de se figurer l’impatience fébrile, les alternatives d’espoir et de désespoir avec lesquelles nous observons la marche d’écrevisse d’un vaisseau qui s’efforce de doubler l’écueil contre lequel le pousse le vent. Dans la circonstance présente, étant bien convaincus que nous étions sur une mer sans fond, nous étions si près du danger, qu’aucune de ses horreurs ne put échapper à nos yeux.

Tandis que le vaisseau suivait cette marche laborieuse, je voyais, du côté opposé au vent, le promontoire de glace se détacher tout à fait des nuages qui l’entouraient : preuve infaillible que nous dérivions rapidement ; et, à mesure que nous approchions de ce point, nous nous entendîmes respirer péniblement les uns les autres. En ce moment, Noé prit une prise de tabac, sans doute pour se donner une dernière jouissance dans le cas où les éléments nous deviendraient funestes, et il alla se mettre lui-même au gouvernail.

— Laissez-le fendre l’eau, dit-il en redressant un peu la barre ; laissez-le se lancer en avant, ou bientôt nous n’en serons plus maîtres dans ce pot du diable.

Le vaisseau fut sensible à ce léger changement ; il sillonna la mer écumante en nous entraînant avec une incroyable rapidité vers le point fatal. Quand nous arrivâmes au promontoire, des flocons d’écume inondèrent le tillac ; et il y eut un moment où il sembla que le vent nous abandonnait. Heureusement, le vaisseau avait pénétré assez avant pour pouvoir ressentir les heureux effets d’un léger changement de courant, qu’occasionnait le vent en se précipitant obliquement dans la crique ; et, comme Noé, en redressant encore plus la barre, s’était mis en mesure de profiter de ce changement, qui se faisait sentir un instant auparavant