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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/216

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attention en me frappant sur le genou. Je vis à côté de moi un Monikin, qui, au physique, avait tout ce qui caractérisait les habitants de Leaphigh, et qui pourtant en différait sous plusieurs rapports. Les poils qui formaient son vêtement naturel étaient plus longs et moins soignés, ses yeux et sa bouche avaient une expression plus maligne, il avait un air affairé, et le bout de sa queue était coupé, ce qui était pour moi une nouveauté. Il était accompagné d’un individu, décidément le plus laid de son espèce que j’eusse vu. Le premier il m’adressa la parole :

— Bonjour, sir John Goldencalf, me dit-il avec un remuement de queue qui, comme je l’appris ensuite, était un salut diplomatique, vous n’avez pas été fort bien traité aujourd’hui, et je cherchais l’occasion de vous faire mes compliments de condoléances et mes offres de service.

— Vous êtes trop bon, Monsieur ; je conviens que j’ai quelque sujet de me plaindre, et je dois dire que je suis sensible à l’intérêt que vous y prenez. Cependant permettez-moi de vous exprimer ma surprise que vous connaissiez mon nom et mes infortunes.

— Pour avouer la vérité, Monsieur, c’est que j’appartiens à une nation d’observateurs. La population est très-éparse dans mon pays, et nous avons contracté une habitude d’enquêtes qui est fort naturelle dans un pareil état de choses. Vous devez avoir remarqué qu’en passant sur une grande route, vous rencontrez rarement un individu qui ne vous salue de manière ou d’autre, au lieu que, lorsque vous êtes dans une rue très-fréquentée, des milliers d’individus passent près de vous sans vous accorder même un coup d’œil. Nous développons ce principe, Monsieur, et nous ne souffrons pas que rien nous échappe, faute d’une curiosité louable.

— Vous n’êtes donc pas un habitant de Leaphigh ?

— À Dieu ne plaise ! — Non, Monsieur ; je suis citoyen de Leaplow[1], grande et glorieuse république située à trois jours de voile de cette île. C’est une nation nouvelle qui est en jouissance de tous les avantages de la jeunesse et de la vigueur ; parfait miracle pour la hardiesse de ses conceptions, pour la pureté de ses institutions, et pour son respect pour les droits sacrés des

  1. Leaplow veut dire en anglais saute-bas ; leaphigh, saute-haut ; leapover, qu’on verra plus loin, saute par-dessus, etc.