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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/238

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après la décaudisation, il est regardé comme un être qui n’a plus de prétentions à la raison ; il est rejeté dans la classe des animaux rétrogrades ; son corps s’accroît, et ses facultés intellectuelles diminuent ; les sucs qui doivent former sa cervelle, étant privés de leurs moyens ordinaires de développement, prennent une direction ascendance ; sa tête grossit, et enfin, après être descendu graduellement jusqu’au dernier degré de l’échelle de l’intelligence, il devient une masse de matière insensible. Telles sont, du moins en théorie, les suites de ce châtiment.

En vertu d’une autre loi, qui est même plus ancienne que la monarchie, toute offense commise dans le palais du roi peut être jugée sommairement par ses pages, et la sentence doit être exécutée sur-le-champ.

Telle était la situation à laquelle Noé se trouvait tout à coup réduit, par suite d’une indiscrétion ; et sans ma prompte intervention il est probable qu’il aurait perdu simultanément la tête et la queue, l’étiquette voulant que, dans un procès instruit à la cour, le roi ni la reine n’eussent droit à la préséance. Pour la défense de mon client, je fis valoir son ignorance des lois et coutumes de ce pays et même de tous les autres, à l’exception de Stonington. J’ajoutai que le criminel ne méritait pas qu’on fît attention à lui, et que, loin d’être lord grand-amiral, il n’était que le maître d’un misérable bâtiment pêcheur. J’insistai sur la nécessité de maintenir des relations amicales avec les pêcheurs de veaux marins, qui fréquentaient les mers si voisines de la région habitée par les Monikins ; je cherchai à convaincre les juges que Noé n’avait eu aucune mauvaise intention en imputant au roi une qualité morale, et que, puisqu’il n’avait imputé aucune qualité immorale à son auguste épouse, elle pouvait être assez généreuse pour lui pardonner. Je citai ensuite les vers célèbres de Shakspeare sur la merci, et ils parurent être assez goûtés. Enfin, je leur dis que je laissais l’affaire à leur sain jugement.

J’en serais sorti à mon honneur, et j’aurais probablement obtenu la mise en liberté de mon ami, si le procureur-général de Leaphigh ne fût entré par curiosité dans la salle. Il ne pouvait trouver rien à redire au fond de mes arguments, mais il fit des objections sur la forme ; l’un était trop prolixe, l’autre trop laconique ; l’un était trop long, l’autre trop court, et un autre était trop large, un autre trop étroit ; en un mot, il n’y eut pas de