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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/237

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ment le capitaine ; et s’il est légal que Votre Majesté ait une mémoire, une volonté, une inclination, ou quelque chose de semblable, je la prierai d’ordonner que ce jeune vaurien soit solidement fustigé.

La reine, toujours par substitut, prit un air de consternation. Le pauvre Noé venait de tomber dans une faute encore plus grave que l’erreur qu’il avait commise en parlant au roi. D’après les lois de Leaphigh, la reine n’est pas ce que celles d’Angleterre appellent « femme couverte[1]. » Elle peut poursuivre et être poursuivie, en son nom personnel ; elle jouit et dispose de ses biens propres ; et on lui suppose une mémoire, une volonté, une inclination, et toute autre chose de même nature, excepté « un bon plaisir, » auquel elle n’a aucun droit. Le cousin-germain du roi n’est rien pour elle, et il n’a pas plus de pouvoir sur sa conscience que sur celle d’une marchande de pommes. En un mot, la reine est aussi maîtresse de ses volontés qu’une femme placée à un rang si élevé peut être maîtresse d’intérêts d’une si grande importance pour ceux qui l’entourent. Noé, fort innocemment, comme je le crois fermement, avait blessé très-sérieusement cette susceptibilité qui est si vive dans un état de société où la civilisation est portée au plus haut degré. L’indulgence ne pouvait aller plus loin, et je vis dans les yeux de tous mes voisins que le capitaine avait commis un crime très-sérieux. Il fut arrêté sur-le-champ, et conduit dans une chambre voisine dont j’obtins l’entrée par de vives sollicitations, et après avoir invoqué fortement les droits de l’hospitalité.

J’appris alors qu’on jugeait à Leaphigh du mérite d’une loi d’après un principe fort semblable à celui d’après lequel en Angleterre nous jugeons de la bonté d’un vin, — son ancienneté ; plus une loi est vieille, plus elle doit être respectée, sans doute parce qu’ayant prouvé son excellence en résistant à tous les changements subis par la société, elle est devenue plus mûre, sinon meilleure. Or, en vertu d’une loi qui remonte à la fondation de la monarchie, quiconque offense la reine à un lever doit perdre la tête, et quiconque offense le roi dans les mêmes circonstances doit perdre la queue. Après la décapitation, le criminel est enterré, et il reste à attendre le moment de la résurrection des Monikins ;

  1. Vieille expression française, que la jurisprudence anglaise a conservée comme beaucoup d’autres, et qui signifie femme en puissance de mari, et par conséquent n’ayant pas de responsabilité légale.