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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/270

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— Pas si vite, sir John, pas si vite. Rien n’est définitif en justice, tant qu’il reste quelque chose pour payer les frais, et que le criminel respire encore. Je vous dis que notre affaire est en très-bon train. Elle est meilleure à présent que je ne le croyais quand je m’en suis chargé.

La surprise ne me laissa que la force de lui demander une explication.

— Tout dépend d’un seul fait, mon cher Monsieur. Il s’agit de savoir si la tête du condamné est encore sur ses épaules. Courez vite sur le lieu de l’exécution, et si notre client a encore une tête, inspirez-lui du courage par quelques discours religieux, et préparez-le à ce qui peut lui arriver de pire, car c’est toujours le parti le plus prudent. Mais aussitôt que sa queue sera séparée de son corps, accourez ici le plus vite possible pour m’en informer. Je ne vous demande que deux choses : une grande célérité, et la certitude que la queue est séparée du corps ; qu’elle n’y tient plus par un seul poil. — Un poil fait quelquefois pencher la balance de la justice.

— Le cas me paraît désespéré. Ne ferais-je pas mieux de courir au palais, de solliciter une audience de Leurs Majestés, de me jeter à leurs pieds, et de leur demander la grâce de Noé ?

— Ce projet est impraticable pour trois raisons : d’abord parce que vous arriveriez trop tard ; ensuite parce que vous ne seriez pas reçu sans une audience préalable, et enfin parce qu’il n’y a ni roi, ni reine.

— Ni roi, ni reine à Leaphigh ?

— Je l’ai dit.

— Expliquez-vous, ou je serai obligé d’en croire mes sens plutôt que ce que vous dites.

— Vos sens seront de faux témoins. Autrefois il y avait un roi à Leaphigh, un roi qui gouvernait et qui régnait. Mais les nobles et les grands du pays, trouvant enfin qu’il n’était pas décent de charger Sa Majesté du poids de toutes les affaires de l’État, prirent eux-mêmes tout l’embarras du gouvernement, et ne laissèrent au souverain que l’honneur de régner. Ce changement s’opéra avec tout l’extérieur du respect, et l’on ménagea la sensibilité du monarque, en lui disant qu’on élevait ainsi une barrière entre sa personne sacrée et les excès auxquels pouvait se porter la masse du peuple. Au bout d’un certain temps, on trouva