Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gênant et dispendieux de nourrir et entretenir la famille royale, et l’on en transporta secrètement tous les membres dans un pays lointain, qui n’était pas encore assez civilisé pour savoir maintenir une monarchie sans monarque.

— Et l’on a réussi dans un tel prodige à Leaphigh ?

— Parfaitement. — À l’aide de décapitations et de décaudisations, on peut même faire de plus grands exploits.

— Mais dois-je entendre littéralement, Downright, qu’il n’y a point de roi dans ce pays ?

— Très-littéralement.

— Et les présentations !

— Ont pour but de même que les jugements de maintenir la monarchie.

— Et les rideaux de damas cramoisi ?

— Cachent des trônes vides.

— Et pourquoi ne pas se dispenser d’une représentation si coûteuse ?

— Comment les nobles pourraient-ils crier que le trône est en danger, s’il n’y avait pas de trône ? C’est une chose de ne pas avoir de monarque, c’en est une autre de ne pas avoir de trône. — Mais pendant que nous causons ainsi, notre client est en grand danger. Partez vite, et ayez soin de vous conformer aux instructions que je vous ai données.

Je ne dis pas un mot de plus, et je courus vers la place publique. Il me fut aisé de voir la queue de mon pauvre ami s’élevant au dessus de toutes les têtes ; mais le chagrin et la crainte avaient tellement changé sa physionomie, que je reconnus à peine ses traits. Cependant sa tête était encore sur ses épaules ; heureusement pour lui, et surtout pour l’honneur de son défenseur en chef, la gravité de ses crimes avait fait faire des apprêts extraordinaires pour l’exécution. L’ordre n’en était pas encore arrivé, car les ministres de la loi sont aussi lents que la loi elle-même est prompte à Leaphigh. Deux blocs venaient d’être préparés, et l’on allait placer Noé entre eux sur ses genoux et ses mains, quand je fendis la foule pour arriver près de lui.

— Ah ! sir John, s’écria-t-il en me voyant ; c’est une cruelle situation pour un homme, pour un chrétien, que d’avoir ses ennemis en poupe et en proue !

— Tant que la vie reste, mon cher Noé, il y a toujours de l’es-