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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/246

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n’avait jamais éprouvé une pareille tempête, et c’était la vérité ; car Jasper, connaissant parfaitement toutes les rivières, tous les promontoires et toutes les criques du lac, aurait fait approcher son cutter du rivage long-temps auparavant, et l’aurait mis en sûreté dans un bon mouillage. Mais Cap ne voulut pas consulter le jeune marin, qui était toujours sous le pont, et il résolut d’agir en cette occasion comme il l’aurait fait sur l’Océan.

À une heure du matin on établit de nouveau le tourmentin. On amena encore le pic, et le cutter arriva vent arrière. Quoiqu’il ne restât alors presque rien de la voilure qui pût recevoir le vent, le Scud prouva noblement qu’il méritait le nom qu’il portait[1] ; car il courut réellement pendant huit heures, presque avec la rapidité des mouettes qui décrivaient des cercles autour du bâtiment, comme si elles eussent craint de tomber dans la chaudière bouillante du lac. L’arrivée du jour ne produisit guère de changement, nul autre horizon n’étant visible que le cercle étroit d’eau et de ciel que la bruine permettait d’apercevoir, comme nous l’avons déjà dit, et les éléments semblaient dans une confusion semblable à celle du chaos. Pendant tout ce temps, l’équipage et les passagers du cutter étaient nécessairement des êtres passifs ; Jasper et le pilote étaient toujours sous le pont, mais le mouvement du cutter étant devenu plus doux, tous les autres étaient remontés sur le pont. On avait déjeuné en silence, et l’on se regardait les uns les autres comme pour se demander quelle serait la fin de cette lutte entre les éléments. Cependant Cap était parfaitement calme ; son visage s’épanouissait, sa marche devenait plus ferme et son air était plus assuré à mesure que la tempête devenait plus furieuse, et exigeait qu’il déployât plus de connaissance de sa profession et plus de force morale. Il était debout sur l’avant, les bras croisés, se balançant le corps avec l’instinct d’un marin, tandis que ses yeux étaient fixés sur le sommet des lames qui venaient se briser sur le cutter avec la même rapidité que si elles eussent fait partie de la bruine que le vent chassait devant lui. En ce moment, un des hommes de l’équipage s’écria tout-à-coup : — Une voile !

L’Ontario était une solitude si complète, qu’on se serait à peine attendu à trouver un bâtiment sur ses eaux. Le Scud lui-même, aux yeux de ceux qui étaient à son bord, ressemblait à un voya-

  1. Le coureur.