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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/247

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geur isolé dans la forêt, et cette rencontre était comme celle de deux chasseurs solitaires sous le vaste dais de feuilles qui couvrait tant de millions d’acres de terre en Amérique. Le temps qu’il faisait servait à rendre cette circonstance encore plus romantique et presque surnaturelle. Cap seul regarda cette scène avec des yeux exercés ; encore ses nerfs de fer tressaillirent-ils, par suite des sensations que firent naître en lui les traits étranges qu’elle présentait.

Ce bâtiment était à environ deux encâblures en avant du Scud ; il se trouvait par le bossoir du vent de ce cutter, et il suivait une route qui rendait probable que le Scud en passerait à quelques toises. C’était un bâtiment à voiles carrées, et en le voyant à travers le brouillard causé par la tempête, l’œil le plus expérimenté n’aurait pu découvrir la moindre imperfection dans sa construction ni dans ses agrès. Les seules voiles qu’il portât étaient son grand hunier au bas ris, et deux petites voiles de cap, l’une sur l’avant, l’autre de l’arrière. Cependant la force du vent était si grande, qu’il était couché sur le flanc toutes les fois qu’une vague ne le redressait pas ; et à son sillage, qui pouvait être de quatre nœuds par heure, il paraissait avoir du largue dans ses voiles.

— Le drôle doit bien connaître sa situation, — dit Cap, tandis que le cutter avançait vers le bâtiment étranger avec une vitesse presque égale à celle du vent, — car il court hardiment vers le sud, où il s’attend à trouver un port ou un bon mouillage. Nul homme, dans son bon sens, n’en ferait autant, à moins d’y être forcé comme nous, sans parfaitement savoir où il va.

— Nous avons fait une longue route, — dit le marin à qui cette remarque avait été adressée. — C’est le bâtiment du roi de France, lay My-calm[1], et il se dirige vers le Niagara où il y a un port et une garnison française.

— Oui, — c’est bien agir en Français. Il cherche à se mettre à l’abri dans un port, du moment qu’il aperçoit le pavillon anglais.

— Il ne serait pas malheureux pour nous que nous pussions suivre son exemple, — reprit le marin en secouant la tête, — car nous allons entrer dans le fond d’une baie qui est au bout du lac, et Dieu sait si nous pourrons jamais en sortir.

— Bon, bon, bon ! nous ne manquons pas de large, et nous avons sous nos pieds une bonne membrure anglaise. Nous ne

  1. Le Montcalm.