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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/141

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vie entièrement occupée à chercher les moyens de plaire ; mais son caractère brillait dans tout son extérieur, et son noble aspect, soutenu par ses projets élevés, laissait bien loin tous les avantages qu’on peut devoir à l’art. À une taille imposante et à une gravité que la grandeur de ses projets rehaussait encore, il joignait un enthousiasme réel et profond, mais calme, qui ornait des grâces de la vérité et de la probité toutes ses paroles et toutes ses actions. Nulle qualité de son esprit ne se faisait mieux remarquer que sa droiture, — qualité rare dans ce siècle ; — et c’est une circonstance singulière, que la plus grande entreprise des temps modernes ait été confiée par la Providence, à ce qu’on croirait dans un but spécial, aux soins d’une reine et d’un chef également distingués par une vertu si caractéristique.

— Je vous remercie de cette preuve de confiance, Señor, répondit Isabelle, surprise et satisfaite ; et tant que Dieu me laissera assez de connaissance pour bien juger, et de pouvoir pour commander, rien de ce qui concerne vos intérêts et ceux d’un projet conçu depuis si longtemps ne sera oublié. Mais nous ne devons pas exclure le roi de nos conseils, puisque nous l’avons enfin fait entrer dans nos projets, et je suis sûre qu’il en désire la réussite aussi vivement que nous-mêmes.

Colomb inclina la tête en signe d’assentiment, et l’affection conjugale d’Isabelle fut satisfaite de cette concession faite au caractère de Ferdinand ; car, quoiqu’il fût impossible qu’une femme aussi pure, aussi ardente pour la cause de la vertu, et ayant autant de désintéressement que la reine, ne découvrît pas quelques symptômes d’égoïsme dans la politique circonspecte de Ferdinand, ses sentiments, comme épouse, l’emportaient tellement dans son cœur sur sa sagacité comme souveraine, qu’ils l’aveuglaient sur des défauts que les ennemis du roi d’Aragon aimaient à faire remarquer. Tout le monde admirait la véracité d’Isabelle, mais les contemporains de Ferdinand étaient bien loin d’avoir la même confiance dans la bonne foi de ce prince et dans les motifs qui le faisaient agir. On aurait pourtant pu le placer parmi les plus justes des princes régnant en Europe ; mais ses défauts devenaient plus saillants, parce qu’ils se trouvaient en contact avec les vertus de la reine, et y faisaient contraste d’une manière frappante. En un mot, ces deux souverains, si intimement unis par leurs intérêts personnels et politiques, offraient sur le trône un tableau qu’on peut voir à chaque instant, à tous