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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/278

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pression sur ceux qui en avaient été témoins, mais que l’histoire se répandit de quart en quart, et fut un objet de discussion animée pendant toute la nuit. Cependant cet incident ne produisit pas une manifestation ouverte de mécontentement ; quelques-uns le regardaient même comme un présage favorable ; mais la grande majorité y voyait un avis donné par le ciel de renoncer à une tentative impie dont le but était de pénétrer dans les mystères de la nature que Dieu, suivant eux, n’avait pas jugé à propos de révéler à l’homme.

Cependant la flottille avançait toujours à l’ouest. Le vent avait souvent changé de force et de direction, mais jamais de manière à forcer les bâtiments à diminuer de voiles, ni à dévier de la route que l’amiral jugeait convenable. Ils croyaient gouverner directement à l’ouest, mais, attendu la déclinaison de la boussole, ils avançaient à l’ouest quart sud-ouest, et ils approchaient graduellement des vents alisés, la force des courants contribuant beaucoup à les pousser de ce côté. Pendant les 15 et 16 de ce mois, l’escadre s’éloigna encore de deux cents milles des côtes de l’Europe ; mais Colomb continuait à prendre la précaution de diminuer la distance parcourue dans le résultat de ses calculs destiné à être rendu public. Ce dernier jour était un dimanche, et le service religieux, qu’on négligeait rarement alors à bord d’un bâtiment chrétien, produisit un effet profond et sublime sur l’esprit des aventuriers. Jusqu’alors le temps avait été ce qu’il est ordinairement dans cette saison, et quelques nuages avaient laissé tomber une pluie fine qui modérait la chaleur ; un vent doux venant du sud-est y succéda, et il semblait imprégné d’une odeur parfumée qui rappelait la terre. Les équipages se réunirent pour l’office du soir, dans ces circonstances propices, les trois bâtiments s’étant rapprochés comme pour former un même temple en l’honneur de Dieu au milieu des vastes solitudes d’un océan qui n’avait probablement encore vu aucune voile flotter sur son sein. La gaieté et l’espérance succédèrent à cet acte de dévotion, et ces deux sentiments s’accrurent encore quand on entendit un cri poussé par l’homme placé en vigie au grand mât, et qui allongeait un bras en avant et un peu sous le vent, comme s’il eût vu de ce côté quelque chose qui méritât particulièrement l’attention. Sur chaque bord, on fit faire au gouvernail un léger mouvement, et au bout de quelques minutes la flotille entra dans un champ d’herbes marines qui couvraient la surface de la mer à plusieurs