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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/279

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milles de distance. Les matelots accueillirent ce signe du voisinage de la terre avec de grandes acclamations, et ceux même qui, si peu de temps auparavant, avaient été sur le point de s’abandonner au désespoir, se livrèrent à des transports de joie.

Dans le fait, ces herbes étaient de nature à faire naître l’espérance dans le cœur du marin le plus expérimenté. Quoique quelques-unes eussent perdu leur fraîcheur, la plupart étaient encore vertes, et semblaient récemment détachées des rochers ou de la terre où elles avaient crû ; les pilotes mêmes ne doutèrent plus du voisinage de la terre. On vit aussi un grand nombre de gros poissons de la famille du thon, et l’équipage de la Niña fut assez heureux pour en harponner un. Les matelots s’embrassaient les uns les autres les larmes aux yeux ; et plus d’une main qui, la veille, se serait brusquement retirée, se laissait presser en signe de félicitation.

— Partagez-vous toutes ces espérances, don Christophe ? demanda Luis. — Devons-nous réellement croire que ces herbes marines annoncent la proximité des Indes, ou n’est-ce qu’un espoir frivole ?

— Notre équipage se trompe en supposant que notre voyage touche à sa fin, Luis. Le Cathay doit être encore très-loin de nous ; nous n’avons fait que trois cent soixante lieues depuis que nous avons perdu de vue l’île de Fer ; et d’après mes calculs, ce ne peut être beaucoup plus que le tiers du voyage. Aristote dit que quelques bâtiments de Cadix ayant été poussés à l’ouest par de grands coups de vent, rencontrèrent une mer couverte d’herbes, et dans laquelle il se trouvait un grand nombre de thons. Il est bon que vous sachiez que les anciens s’imaginaient que ce poisson voyait mieux de l’œil droit que du gauche, attendu qu’en traversant le Bosphore pour aller vers l’Euxin, les thons longent toujours la côte à droite, au lien qu’ils suivent celle de gauche quand ils en reviennent.

— Par saint François ! s’écria Luis en riant, il n’est pas étonnant que des créatures dont la vue n’est bonne que d’un côté, se soient égarées si loin de leur domicile ordinaire. Aristote ou les autres anciens nous disent-ils aussi comment ils regardaient la beauté, et si leurs idées sur la justice étaient semblables à celles d’un juge payé par les deux parties adverses ?

— Aristote ne parle que de la présence de ces poissons dans les herbes de l’Océan, comme nous les avons en ce moment sous