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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/288

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était littéralement aussi lisse que l’eau d’un lac, et les bâtiments pouvaient sans danger se tenir à quelques brasses l’un de l’autre.

— Señor amirante, dit Martin Alonzo Pinzon, ces herbes ressemblent à celles qui croissent sur les bords des rivières, et je crois que nous ne sommes pas éloignés de l’embouchure de quelque grand fleuve.

— Cela peut être, répondit Colomb, et nous ne pouvons en trouver un indice plus certain qu’en goûtant l’eau. — Qu’on en puise un seau, afin d’en faire l’épreuve !

Tandis que Pépé attendait, pour exécuter cet ordre, que la Santa-Maria eût traversé une grande masse d’herbes, l’œil actif de l’amiral découvrit sur la surface de celles qui étaient encore fraîches un crabe qui cherchait à s’en débarrasser, et il ordonna au timonier de varier légèrement sa route pour qu’on pût prendre cet animal.

— Voici une prise très-précieuse, Martin Alonzo, dit Colomb, tenant le crabe entre le pouce et l’index pour le lui montrer ; on ne voit jamais ces animaux s’éloigner de la terre à plus de quatre-vingts lieues. — Regardez, Señor, voilà là-bas un de ces oiseaux blancs des tropiques, qui, dit-on, ne dorment jamais sur l’eau. Dieu nous favorise véritablement ; et ce qui rend tous ces signes plus satisfaisants encore, c’est la circonstance qu’ils viennent de l’ouest, — de cet ouest caché, inconnu, mystérieux.

Une acclamation générale s’éleva sur les trois bâtiments à la vue de ces différents signes ; et ces hommes qui, si peu de temps auparavant, avaient été sur le point de se livrer au désespoir, ouvrirent de nouveau leurs cœurs à l’espérance et se sentirent disposés à prendre pour des présages propices les incidents les plus ordinaires sur l’Océan. On avait puisé de l’eau à bord des trois bâtiments ; cinquante bouches la goûtèrent en même temps, et l’exaltation était si générale, que chacun déclara que cette eau était moins salée que de coutume. L’illusion causée par une attente si agréable fut si complète, et le sophisme de Sancho avait tellement dissipé toutes les craintes qui avaient rapport aux mouvements de l’étoile polaire, que Colomb lui-même, habituellement si prudent, si calme, si judicieux, céda à son enthousiasme naturel, et se figura qu’il était sur le point de découvrir quelque grande île placée à mis chemin entre l’Asie et l’Europe, honneur qui n’était pas à mépriser, quoiqu’il fût bien, peu de chose en comparaison de ses hautes espérances.