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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/384

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courant vers l’Espagne, pour y porter des nouvelles peu attendues. La tourmente diminua sensiblement dans le cours de la journée ; mais vers le soir elle reprit une nouvelle force, le vent devint plus contraire, et nos marins furent forcés de serrer jusqu’au dernier morceau de toile qu’ils s’étaient hasardés à appareiller. Ce n’était pas encore le plus fâcheux de l’aventure. Les caravelles avaient alors été poussées dans une partie de l’Océan où la direction des lames croisait celle du vent, résultat de quelque autre ouragan qui avait en lieu d’un côté différent. Les deux bâtiments luttaient avec courage, pour garder leur route dans des circonstances si contraires ; mais ils commençaient à fatiguer de manière à inquiéter ceux qui connaissaient la force réelle des deux navires, et qui savaient d’où venait la véritable source du danger. À l’approche de la nuit, Colomb s’aperçut que la Pinta ne pouvait résister plus longtemps aux efforts du vent, dont la pression était trop forte sur son mât d’artimon, quoiqu’il ne portât pas un pouce de voile. Il ordonna donc, quoique à regret, à la Niña, de se rapprocher de ce bâtiment, une séparation, dans une telle crise, étant, après un naufrage, le plus grand malheur qui pût leur arriver.

Ainsi se passa la nuit du 14 pour nos voyageurs isolés au milieu de l’Océan ; ce qui n’avait été, la nuit précédente, que présages et menaces étant devenu une effrayante réalité. Colomb lui-même avoua qu’il n’avait jamais vu une plus furieuse tempête, et ne chercha pas à cacher à Luis l’étendue de ses craintes. En présence des pilotes et de l’équipage il était calme et même enjoué ; mais, seul avec notre héros, il se montrait humble et sincère. Il ne cessait pourtant pas d’être le célèbre navigateur toujours ferme et tranquille ; aucune plainte lâche ne s’échappait de ses lèvres, quoiqu’il fût désolé au fond de l’âme que ses grandes découvertes courussent le risque d’être à jamais perdues.

Tel était le sentiment qui dominait l’amiral assis dans sa petite chambre durant les premières heures de cette nuit redoutable ; il épiait le moindre changement favorable ou désastreux qui pouvait arriver. Le sifflement des vents qui enlevait littéralement des nappes d’eau de la surface de l’Océan fougueux se distinguait à peine au milieu du rugissement des vagues. Parfois, à la vérité, quand la caravelle tombait dans le creux de deux énormes lames, on entendait battre le fragment de voile qu’elle portait encore, et l’air paraissait silencieux et calme ; puis, lorsque l’esquif léger