Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/385

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cherchait à regagner la surface, de même que l’homme qui se noie fait des efforts frénétiques pour remonter sur l’eau, il semblait que les colonnes d’air allaient l’emporter dans leur vol aussi facilement que l’eau qu’elles ravissaient au sommet des vagues. Luis lui-même, quoique peu enclin à s’alarmer, sentait que leur situation devenait critique, et sa vivacité naturelle avait fait place à une gravité pensive qui ne lui était pas ordinaire. Si notre héros se fût trouvé en face d’un millier de Maures, il eût plutôt pensé au moyen de les vaincre qu’à prendre la fuite ; mais cette guerre des éléments n’offrait pas une semblable ressource, c’était en quelque sorte vouloir résister au Tout-Puissant.

En pareille occasion le plus brave ne peut compter sur sa résolution et son intrépidité car les efforts de l’homme sont bien futiles, bien insignifiants, lorsqu’ils sont opposés au vouloir et à la puissance de l’Éternel.

— C’est une nuit terrible, Señor, dit notre héros d’un ton calme et avec une indifférence plus apparente que réelle ; elle surpasse tout ce que j’avais jamais vu de la fureur d’une tempête.

Colomb soupira profondément, puis, découvrant son visage caché entre ses mains, il regarda autour de lui comme s’il eût cherché quelque objet qui lui manquait.

— Comte de Llera, répondit-il avec dignité, il nous reste un devoir solennel à remplir. Le tiroir qui se trouve de votre côté de cette table contient des parchemins, et voici ce qui est nécessaire pour écrire. Acquittons-nous de notre mission, tandis que la merci divine nous en accorde encore le temps ; Dieu seul sait combien il nous reste d’heures à vivre.

Luis écouta sans pâlir ce discours de mauvais augure ; mais il prit un air grave et sérieux. Ouvrant le tiroir, il en tira le parchemin et le posa sur la table. L’amiral saisit une plume, fit signe à son compagnon d’en prendre une autre, et tous deux commencèrent à écrire aussi bien que le mouvement violent et continuel de la légère caravelle pouvait le permettre.

La tâche était difficile, mais elle fut bien exécutée ; à mesure que Colomb écrivait une phrase, il la dictait à Luis, qui la copiait mot pour mot sur le parchemin placé devant lui.

Ce document contenait en substance le récit des découvertes qui avaient été faites ; la latitude et la longitude d’Española, les positions relatives des autres îles, et un compte succinct de tout