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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/387

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de lui. L’obscurité était si grande que, sans la faible clarté qui se dégageait des flots agités, il aurait été difficile de distinguer les objets d’un bout à l’autre de la caravelle. Il serait impossible à un homme qui n’a été sur mer qu’à bord d’un grand bâtiment, de se faire une juste idée de la situation de la Niña. Ce bâtiment, qui n’était guère qu’une grande felouque, était parti d’Espagne gréé avec les antennes et les voiles latines dont les petits caboteurs du midi de l’Europe font un usage si fréquent, et ce n’était qu’aux Canaries qu’il avait changé son système de mâture. Dans une baie ou une rivière, son plat-bord ne s’élevait hors de l’eau que de quatre ou cinq pieds, et maintenant qu’il luttait contre la tempête sur une mer dont les lames suivaient une direction contraire à celle du vent, — précisément dans ces parages de l’Atlantique où les vents ont le plus de force et les eaux le plus d’agitation, — on eût pu le prendre pour un animal marin qui remontait de temps en temps à la surface pour respirer. Il y avait des moments où la caravelle semblait s’abîmer sans retour dans le sein de l’Océan ; de hautes et sombres montagnes d’eau s’élevaient alors autour d’elle de tous côtés, la confusion des vagues ayant détruit toute la symétrie ordinaire du roulis de la mer. Quoiqu’on ait abusé du langage figuré en parlant de montagnes d’eau, l’on peut ajouter, sans s’écarter de la vérité littérale, que les vergues de la Niña étaient souvent au-dessous des lames voisines, qui montaient à une telle hauteur qu’on craignait à chaque instant de les voir retomber en cataractes sur les caillebotis formant la partie du pont au milieu du bâtiment, sur l’avant du grand mât. Là existait le véritable danger ; car une seule de ces lames, tombant sur ce petit bâtiment, aurait suffi pour le remplir d’eau et le faire couler à fond avec tout ce qu’il contenait. Quoi qu’il en soit, la cime des vagues rejaillissait sans cesse à bord, ou s’élevait, par le travers, au-dessus de la caravelle, en nappe d’écume brillante, mais heureusement sans avoir une force suffisante pour la submerger. Dans ces instants dangereux, la sûreté du bâtiment dépendait de frêles toiles goudronnées. Si ce faible rempart eût cédé, deux ou trois vagues successives auraient infailliblement rempli la cale, et l’eau une fois maîtresse du navire, sa perte devenait inévitable.

L’amiral avait donné l’ordre à Vincent Yañez de prendre tous les ris à la misaine, espérant qu’au milieu de ce chaos des éléments, il pourrait conduire son bâtiment dans une partie de