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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/78

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aussi favorables que celle-ci pour vous exprimer tous mes sentiments.

— Ce ne sont pas ceux qui parlent avec le plus de facilité ou de véhémence qui sentent toujours le plus profondément, don Luis !

— Mais ce ne sont pas non plus ceux qui sentent le moins, doña Mercédès. Vous ne pouvez douter de mon amour ; il a crû, il s’est développé avec tout mon être, enfin il s’est tellement identifié avec moi, que je ne puis user d’aucune de mes facultés sans y retrouver votre chère image. — Je vous vois dans tout ce qui est beau. — Si j’entends le chant d’un oiseau, c’est votre voix que votre luth accompagne. — Si je sens le doux vent du sud venant des îles parfumées effleurer ma joue, je crois que c’est un soupir qui vous échappe.

— Vous avez vécu trop longtemps au milieu de la légèreté de la cour de France, don Luis, et vous semblez avoir oublié que le cœur d’une Castillane aime trop la franchise et la vérité pour écouter avec plaisir de semblables rapsodies.

Si don Luis eût été plus âgé ou qu’il eût mieux connu le beau sexe, il aurait été flatté de ce reproche, car il aurait découvert dans le ton de celle qui lui parlait un sentiment plus doux que celui qu’exprimaient ses paroles et un tendre regret.

— Si vous appelez rapsodies ce que je vous dis, doña Mercédès, vous me faites une grande injustice ; je puis ne pas bien exprimer mes pensées et mes sentiments, mais jamais ma bouche ne vous a adressé un seul mot que mon cœur ne le lui eût dicté. — Ne vous ai-je pas aimée depuis l’époque où nous étions enfants tous deux ? — Ai-je jamais manqué, dans notre jeunesse, de vous montrer la préférence que je vous donnais sur toute autre dans les jeux et les amusements de ce temps d’innocence ?

— Oui, vrai temps d’innocence, répéta Mercédès, les joues animées par une foule d’agréables souvenirs qui firent plus en un instant pour abattre les barrières de sa réserve que des années de leçons n’avaient fait pour les élever. — Alors du moins, Luis, vous étiez sincère, et j’avais une entière confiance en votre amitié et en votre désir de me plaire.

— Dieu vous récompense, Mercédès, Dieu vous récompense de ces mots précieux ! Pour la première fois depuis deux ans vous m’avez parlé comme vous le faisiez autrefois ; vous m’avez appelé Luis sans y joindre ce maudit don.