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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/79

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— Un noble Castillan ne doit jamais parler avec légèreté des distinctions qui l’honorent, et il doit à son rang de veiller à ce que les autres le respectent comme lui, répondit notre héroïne en baissant les yeux comme si elle se fût déjà à demi repentie de sa familiarité ; vous avez été prompt à me rappeler mon oubli, don Luis de Bobadilla.

— Ma malheureuse langue ne peut jamais prendre la voie que je voudrais la voir suivre ! N’avez-vous pas vu dans tous mes regards, dans toutes mes actions et dans tous leurs motifs, le désir de vous plaire et de plaire à vous seule, aimable Mercédès ? Quand Son Altesse donna son approbation au succès que j’obtins dans le dernier tournoi, ne cherchai-je pas vos yeux pour voir si vous l’aviez entendue ? Avez-vous jamais exprimé un souhait sans que j’aie montré le plus vif désir de le voir accompli ?

— Maintenant, Luis, vous me donnez la hardiesse de vous dire que je vous ai exprimé le désir de vous voir renoncer au projet de votre dernier voyage dans le nord, et que cependant vous n’en êtes pas moins parti. Je sentais que cela déplairait à doña Béatrix, votre penchant à courir le monde lui ayant fait craindre que vous n’en prissiez l’habitude au risque de perdre les bonnes grâces de la reine.

— C’est pour cela que vous m’avez fait cette demande, et ma fierté s’est trouvée blessée en pensant que Mercédès de Valverde connaissait assez peu mon caractère pour croire qu’un noble Castillan de mon nom et de mon lignage oubliât assez ses devoirs pour s’abaisser à devenir le compagnon de pilotes et d’aventuriers.

— Vous ne saviez pas que j’eusse cette opinion de vous ?

— Si vous m’aviez demandé de rester pour l’amour de vous, Mercédès, — si vous m’aviez imposé les devoirs les plus difficiles à remplir, comme votre chevalier ou comme un homme qui jouissait d’une part quelconque dans vos bonnes grâces, j’aurais renoncé à la vie plutôt que de quitter la Castille. Mais je n’ai pas même pu obtenir un regard de bonté en récompense de toute la peine que vous m’avez fait éprouver.

— De la peine, Luis ?

— N’est-ce pas une peine que d’aimer au point de pouvoir baiser la terre qui a reçu l’empreinte de l’objet aimé, sans aucun encouragement de sa bouche, sans un regard amical de ses yeux, sans un signe, un gage, qui prouve que celle qu’on a enchâssée