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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/181

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tirés un à un du gaillard d’avant et envoyés dans le canot. Du biscuit, de la viande cuite, du rhum et de l’eau furent fournis aux Anglais ; et, en cas d’accident, je leur remis une boussole et le quart de cercle de Sennit. Ce dernier instrument lui fut passé sur sa demande même ; car il semblait soupçonner que nous avions le projet de le laisser aller à la dérive au premier moment favorable, ce qui était assez vrai.

Quoique l’embarcation eût alors douze hommes à bord, elle ne courait aucun danger ; car c’était une yole fortement construite, à trois rangs de rames, qui aurait pu contenir vingt hommes au besoin. En même temps le temps promettait d’être favorable ; la brise était juste ce qu’il faut pour un bâtiment qui porte près et plein. La seule chose qui me tourmentât un peu, c’était la pensée que les vents du sud-ouest amènent souvent des brouillards, et que le canot pouvait se perdre. Mais qu’y faire ? Il fallait bien courir quelques risques, et je poursuivis l’exécution de mon plan sans hésiter.

Aussitôt que tous les Anglais furent dans le canot, pourvus des objets les plus nécessaires, nous fûmes plus libres dans nos mouvements, et nous pûmes nous occuper du bâtiment. L’homme placé au gouvernail pouvait avoir l’œil sur l’ennemi, l’Aurore gouvernant comme un bateau de pilote. Neb fut envoyé en haut pour accomplir certaines opérations nécessaires. Les perroquets étant déferlés, les cargues-points furent roidis, et les voiles établies. Je le fis plutôt pour que le vaisseau anglais ne pût concevoir de mauvais soupçons sur notre compte, en voyant un bâtiment courir vent arrière avec si peu de toile, que dans le désir de gagner de l’avant, puisque nous allions déjà assez vite pour être à peu près certains de dépasser le vaisseau, à moins que je ne préférasse changer de direction pour le rejoindre.

Diogène Billings, le cuisinier, eut alors un peu de loisir pour nous servir un déjeuner chaud. Si M. Sennit vivait encore, je pense qu’il me rendrait la justice de dire qu’il ne fut pas oublié. Nous lui envoyâmes de bon café chaud, bien sucré, pour lui et pour son équipage, ainsi qu’une large part du reste de notre repas. Nous lui fîmes passer aussi les voiles régulières du canot, qui était gréé pour porter deux civadières.

Le navire étranger était alors à deux lieues de nous, et il devenait nécessaire d’agir. J’envoyai Marbre en haut pour examiner l’horizon,