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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/258

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pouvais suivre une ligne droite pendant quinze à seize jours, j’avais encore une chance d’atteindre la terre. Je n’avais pourtant pas la présomption d’espérer qu’un pareil miracle s’opérerait en ma faveur, quoique, si j’eusse été dans la région des vents alizés, la chose n’eût pas été impossible. Quoi qu’il en fût, il y avait de quoi décourager le plus intrépide, de mettre une heure entière pour faire moins d’un mille, quand il y en avait deux cents à parcourir, et que tous les dangers de l’Océan étaient constamment suspendus sur une seule tête.

Quelle journée je passai ! Il y eut un moment ou le vent fraîchit assez pour me faire trembler pour ma plate-forme, que l’eau couvrit plus d’une fois, quoique la vergue de hune lui fît une sorte d’abri.

Vers le déclin du jour le vent tomba, et au coucher du soleil tout était rentré dans le calme ordinaire. Je pouvais être à huit ou neuf milles de l’endroit où l’Aurore avait péri, sans tenir compte de l’influence des courants, qui pouvaient m’avoir entraîné beaucoup plus loin, ou m’avoir ramené, à mon insu, au point de départ. Je profitai de la dernière lueur de jour pour examiner avec anxiété l’horizon ; mais rien n’était visible.

La nuit fut aussi paisible que les précédentes ; mais il n’en fut pas de même de mon sommeil, qui fut continuellement agité. Mes pensées se reportaient sur ma sœur, sur Lucie, sur M. Hardinge, et sur Clawbonny, que je voyais déjà en la possession de Jacques Wallingford. Mon cousin était triomphant du succès de ses artifices. L’instant d’après, il me semblait que Lucie avait acheté cette propriété, et qu’elle y demeurait avec André Drewett, dans une belle maison qu’elle venait de faire construire dans le goût moderne.

Vers le matin, je m’assoupis pour la quatrième ou la cinquième fois de la nuit ; et je me rappelle que j’éprouvais cette sorte de sensation singulière qui nous apprend que nous rêvons. Au milieu des imaginations qui me passèrent par l’esprit, il me sembla que j’entendais Marbre et Neb qui causaient ensemble. Ils parlaient d’une voix basse et solennelle ; et leurs paroles étaient si distinctes, que je ne perdais pas une seule syllabe.

— Non, Neb, disait Marbre, à ce qu’il me semblait, d’un ton lamentable que je ne lui avais jamais entendu prendre, même en parlant de son ermitage, il n’y a plus guère d’espoir de retrouver