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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/259

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Miles à présent. J’ai senti que le pauvre garçon était perdu, quand j’ai été entraîné par ces mâts infernaux. Vous avez perdu un maître n° 1, Neb, c’est moi qui vous le dis, et vous pourriez en servir cent avant de retrouver son semblable.

— Moi n’en servir jamais d’autre, monsieur Marbre ; cela être certain comme l’Évangile ! Moi né dans la famille Wallingford, moi vivre et mourir dans la même famille.

— Oui, et cette famille, où est-elle à présent ? La plus jolie et la plus honnête fille de l’état d’York est partie la première. Je l’ai peu connue, mais avec quelle affection le pauvre Miles m’en parlait toujours ! J’aime bien ma petite nièce Kitty ; mais, Neb, c’était bien autre chose, allez ! Une sœur, voyez-vous, et une sœur comme celle-là ! À présent, c’est le tour de Miles, car il est au fond de la mer, et le bâtiment a coulé bas ; autrement nous l’aurions vu flotter quelque part. Pauvre Miles !

— Moi pas désespérer, monsieur Marbre. Maître nager comme un poisson, et maître n’être pas homme à perdre la tête. Lui nager peut-être encore.

— Tout ce qu’un homme peut faire, Neb, Miles l’aurait fait ; mais il ne peut nager pendant deux cents milles. Non, non, il faut nous résigner, Neb, la Providence nous l’a enlevé. Ah ! c’est que j’aimais ce garçon, mieux même qu’un Yankee n’aime les concombres.

On peut trouver que c’était là une singulière comparaison qui se présentait à mon esprit dans ses rêves ; mais Marbre la faisait souvent, et s’il suffisait, pour qu’elle fût juste, de manger de ce fruit à toute heure de la journée, on ne pouvait taxer le pauvre Marbre d’exagération.

— Tout le monde aimer maître Miles, répondait toujours dans mon rêve le bon nègre. Moi pas concevoir nous pouvoir retourner auprès du bon monsieur Hardinge, et lui dire nous revenir sans maître à moi.

— Ce sera une tâche pénible, Neb, mais je crains bien qu’il ne faille en passer par là. En attendant, couchons-nous, et tâchons de faire un somme ; car le vent va se lever d’un moment à l’autre, et alors nous n’aurons pas trop de tous nos yeux.

Après ces mots je n’entendis plus rien ; mais chaque parole avait retenti à mon oreille aussi distinctement que si les interlocuteurs avaient été à cinquante pas de moi. Je restai encore quelque temps