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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/273

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commencer. Je courus au gaillard d’arrière ; quand j’y arrivai, tout annonçait l’approche d’un combat. Le bâtiment était sous une petite voilure ; les canons étaient démarrés et pointés : les tapes étaient ôtées, les boulets préparés, et quelques vieux chefs de pièces semblaient avoir peine à attendre le signal pour commencer. Un silence pareil à celui d’une église déserte régnait dans toutes les parties du bâtiment ; celui qui, dans ce même moment, aurait pu se transporter à bord de la frégate ennemie aurait été assourdi de clameurs confuses, et sa surprise eût été grande de voir que les préparatifs, qui étaient terminés depuis longtemps à bord de la frégate anglaise, n’étaient encore qu’ébauchés par les Français[1].

— Wallingford, dit mon vieil ami le capitaine quand je m’approchai de lui, vous n’avez rien à faire ici. Il ne serait pas convenable que vous prissiez part à l’action, et ce serait une folie de vous exposer sans motif.

— Je le sais, capitaine ; mais votre bonté pour moi est si grande, que j’ai pensé que vous me permettriez d’être simple spectateur ; si je ne puis me rendre utile autrement, je pourrai du moins soigner les blessés, et vous pourrez compter que je saurai me tenir assez à l’écart pour ne pas gêner les manœuvres.

— Je ne sais, Monsieur, si je dois le permettre, reprit gravement le vieillard ; ce combat est une chose sérieuse, et personne ne doit être ici que ceux dont le devoir est d’agir. Voyez, Monsieur, ajouta-t-il en montrant la frégate française, qui était à deux encâblures de distance, avec ses perroquets cargués et ses basses-voiles sur leurs cargues ; dans dix minutes il fera chaud ici, et je vous laisse à décider si la prudence ne demande pas que vous descendiez.

Je m’y étais attendu, et, au lieu d’insister, je m’inclinai, et m’éloignai du gaillard d’arrière comme pour obéir. — Quand il ne me verra plus, il ne pensera plus à moi, me dis-je en moi-même ; il sera bien assez temps de descendre quand j’aurai vu le commencement de

  1. L’auteur revient continuellement et avec une sorte de complaisance sur ce contraste. Sans doute, à la suite de la grande tourmente révolutionnaire, la discipline fléchit un moment à bord de nos bâtiments, et les causes n’en seraient pas difficiles à indiquer. Mais ce relâchement ne fut que passager. L’ordre ne tarda pas à se rétablir dans la marine, comme partout dans le pays, et aujourd’hui nulle part au monde on ne trouverait de matelot, non-seulement plus brave et plus intrépide, — l’auteur en convient tout le premier, — mais plus soumis, plus patient, plus silencieux même, que le matelot français.
    (Note du Traducteur.)