Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’affaire. Sur le passavant, je passai devant les soldats de marine en grande tenue, que leur officier se donnait autant de peine à aligner que si la victoire eût dépendu de cette circonstance. Sur le gaillard d’avant, je trouvai Neb, les mains dans ses poches, qui suivait les manœuvres des Français comme le chat guette les mouvements de la souris ; on voyait qu’il y prenait le plus vif intérêt, et il ne fallait pas songer à l’envoyer en bas. Quant aux officiers, ils avaient pris leçon sur le capitaine, et ils se bornèrent à sourire d’un air de bonne humeur quand je passai devant eux. Le premier lieutenant seul fit exception ; il n’avait jamais paru bien disposé à notre égard ; et sans l’accueil empressé qui nous était fait dans la chambre, je ne doute pas qu’il ne nous eût donné plus tôt un échantillon de son humeur.

— Voilà un drôle qui est trop bien bâti pour rester à ne rien faire dans un moment comme celui-ci, dit-il d’un ton sec en montrant Neb.

— Nous sommes des neutres par rapport à la France, monsieur Cléments, lui répondis-je, et il ne serait pas bien à nous de prendre part à vos querelles. Cependant j’ai été trop bien reçu à bord du Breton pour ne pas éprouver un vif désir de partager vos dangers ; il se peut faire que je trouve quelque occasion de me rendre utile, ainsi que Neb.

M. Cléments me lança un regard perçant, murmura quelque chose entre ses dents, et se dirigea vers l’arrière, où il se rendait quand je l’avais rencontré ; je le suivis des yeux, et je vis qu’il parlait d’un air sombre au capitaine. Le vieillard jeta un regard de mon côté, me montra le doigt, puis il sourit avec sa bonté ordinaire, et se retourna pour parler à un des aspirants qui était auprès de lui. Dans ce moment, la frégate française donna vent devant, envoyant toute sa bordée à mesure que les canons portaient. Deux des boulets atteignirent la mâture ; c’en fut assez pour faire diversion aux pensées du capitaine, et je fus oublié. Quant à Neb, il se rendit sur-le-champ utile : un boulet avait coupé le faux étai du grand mât, juste au-dessus de sa tête ; et avant que j’eusse eu le temps de parler, il saisit une bosse, empoigna un des bouts de l’étai, et s’évertua à bosser promptement la manœuvre. Le maître d’équipage applaudit à son activité, et envoya deux ou trois matelots de l’avant pour l’aider. À partir de ce moment, Neb ne quitta plus les agrès ; il était empressé