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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/30

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faisait allusion à sa naissance ; il n’y a pas d’homme dans l’univers devant qui on puisse parler plus librement de ces sortes de choses que Moïse Marbre.

— Marbre ! c’est un nom bien dur ! reprit la vieille femme avec un léger sourire ; mais qu’importe, pourvu que le cœur ne soit pas comme le nom ? Mes parents étaient Hollandais, et vous avez pu entendre dire comment les Hollandais et les Yankees vivaient entre eux avant la révolution. Proches voisins, ils étaient loin de s’aimer. Les Yankees disaient que les Hollandais étaient des imbéciles ; les Hollandais, que les Yankees étaient des fripons. Je n’ai pas besoin de vous dire que je suis née avant la révolution, quand le roi George II était sur le trône et gouvernait le pays ; et quoique ce fût longtemps après l’époque où les Anglais étaient devenus nos maîtres, c’était encore avant que nos compatriotes eussent oublié leur langue et leurs traditions. Mon père lui-même ne naquit qu’après l’arrivée des gouverneurs anglais, comme il me l’a souvent répété ; mais n’importe, il aima la Hollande jusqu’au dernier moment, et les coutumes de ses pères.

— Tout cela est naturel, ma bonne vieille, dit Marbre avec un peu d’impatience, mais venons au fait ; un Hollandais ne peut pas plus s’empêcher d’aimer la Hollande, qu’un Anglais d’aimer les bonnes liqueurs qu’elle produit. J’ai été dans les Pays-Bas, moi qui vous parle. Quelle drôle de vie amphibie on mène là ! — ni à bord, ni à terre !

La vieille femme éprouva pour Marbre un surcroît de considération et d’estime après cette déclaration. À ses yeux, c’était un plus grand exploit d’avoir vu Amsterdam que ce n’en serait un aujourd’hui de visiter Jérusalem. Au train dont vont les choses, c’est presque un déshonneur pour un homme du monde de n’avoir point vu les pyramides, la Mer Rouge et le Jourdain.

— Si mon père n’avait jamais vu la terre de ses ancêtres, continua la vieille, il ne l’en aimait pas moins. Malgré la jalousie des Yankees et leur peu de sympathie pour les Hollandais, il en venait souvent parmi nous pour chercher fortune ; ils n’aiment guère à rester chez eux, et je ne saurais nier qu’il n’y ait eu des circonstances où ils parvinrent à s’approprier quelques-unes des fermes faisant partie des propriétés des Pays-Bas, d’une manière qu’il aurait mieux valu pour eux d’éviter.