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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/320

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J’étais dans un état à pouvoir à peine me conduire moi-même. C’était peu pour moi d’être libre ; mais apprendre si inopinément que Lucie l’était aussi ! Lucie dont depuis tant d’années je croyais la main irrévocablement promise ; Lucie que je n’avais jamais cessé d’aimer, quoique sans espérance ! Je me dis qu’André Drewett ne l’avait jamais aimée comme moi ; que son amour pour Lucie n’avait point fait, comme le mien, depuis son enfance, partie essentielle de son existence, autrement il n’aurait jamais pu parler comme il venait de le faire. Pendant que ces pensées se croisaient dans mon esprit, je pris le bras d’André, qui m’entraîna précipitamment hors de la prison.

J’avoue que je respirai plus librement quand je me trouvai au grand air. Je me dirigeai vers l’endroit où Marbre et Neb étaient toujours occupés à faire des nœuds à leur corde. Grande fut leur surprise de me voir en liberté ; et Marbre en parut même presque contrarié, quoique la présence de Drewett lui expliquât ce qui s’était passé.

— Si vous aviez seulement attendu jusqu’à ce soir, Miles, dit-il en secouant la tête d’un air de menace, Neb et moi nous aurions appris à cette infernale prison comment un marin sait s’y prendre pour la quitter. Je suis presque fâché que l’occasion soit perdue ; car les coquins auraient fait une jolie grimace, en relevant le quart et en trouvant la cage vide ! Il ne tient à rien que je ne vous prie d’y retourner, mon garçon !

— Bien obligé ! — En attendant, Neb, faites-moi le plaisir de reporter mon bagage à notre hôtel, où je compte bien suspendre de nouveau mon hamac ce soir. — Monsieur Drewett, je cours remercier celle à qui je dois ma liberté. Ne venez-vous pas avec moi ?

André s’excusa ; je lui renouvelai mes remerciements, lui serrai affectueusement la main, et nous nous séparâmes. Je courus à Wall-Street, et je frappai à la porte de Lucie, sans presque savoir comment je m’y trouvais transporté. L’heure du dîner approchait, et le domestique hésitait s’il laisserait entrer un matelot qui savait à peine ce qu’il disait, quand Chloé accourut au son de ma voix.

— Maître Miles ! maître Miles ! s’écria-t-elle. Le gars m’avoir bien dit vous être de retour ! Oh ! maintenant que maître être ici, les coquins installés à Clawbonny décamper bien vite !

Ces paroles, malgré la confiance qu’elles respiraient, calmèrent