Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/342

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qu’elle le reconnaissait. Elle fit même entendre à une de ses amies — j’étais assez près pour surprendre cette confidence — qu’il lui avait été destiné dans l’origine ; — mais que voulez, cara mia, avait-elle ajouté en poussant un soupir dans lequel elle semblait se complaire, nous ne pouvons commander à notre cœur !

Un mot de la race si dévouée des Clawbonny. Tous les membres âgés de cette grande famille vécurent et moururent à mon service, et je pourrais dire avec plus de raison, au leur. Mais le jeu des institutions humaines opère de manière à briser des liens plus étroits que ceux qui m’attachaient mes esclaves. Les pères conscrits de New-York avaient décidé depuis longtemps que l’esclavage serait aboli dans l’étendue de leur empire ; et les plus jeunes de mes nègres se retirèrent l’un après l’autre pour aller chercher fortune à New-York, ou dans quelque autre ville de l’État ; et il ne reste plus guère auprès de moi que Neb, sa femme, et leurs descendants immédiats, ceux-ci ayant reçu de leurs parents des exemples et des conseils qui les mettent en garde contre les innovations d’un état de société si mobile. Pour eux Clawbonny est toujours Clawbonny ; et moi et les miens nous sommes toujours une race à part dans leurs idées. J’avais donné à Neb et à Chloé, le jour même de leur mariage, l’acte que j’avais dressé de leur affranchissement, et par lequel je déchargeais en même temps leur postérité des vingt-huit ans ou des vingt-cinq ans de services que les enfants me devaient, suivant leur sexe. La loi n’avait pas encore prononcé l’affranchissement général et sans condition. Neb mit cet acte dans le fond de sa tabatière, ne voulant point paraître faire fi de ce que je lui donnais ; et je l’y vis par hasard, dix-sept ans après, réduit presque en poussière : personne ne l’avait ouvert dans tout cet espace de temps.

Je n’eus jamais qu’une seule conversation avec Neb ou avec sa femme au sujet des gages, et je découvris alors combien ce serait blesser le bon nègre que de le mettre sur le pied des domestiques de ma ferme ou de ma maison.

— Quoi moi avoir fait, maître, pour vous vouloir payer moi, comme un homme à gages ! dit Neb d’un ton moitié fâché, moitié chagrin. Moi être né dans la famille ; bon titre déjà ; et si d’autres être nécessaires, moi avoir accompagné maître dans son premier voyage, et dans tous les autres ensuite, dans tous !

Ces mots, prononcés avec une expression de reproche, tranchèrent