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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/160

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— Vous savez, Jaap, que tout le monde est de cet avis, répondit-il ; je n’ai jamais entendu personne varier sur ce point.

— Et vous pensez que c’est vrai, porte-chaîne ? demanda l’Onondago d’une manière assez brusque.

— Cela doit être vrai, puisque tout le monde le dit. Vous savez que les Visages Pâles lisent un grand nombre de livres, ce qui les rend plus savants que les Peaux Rouges.

— Comment faites-vous tenir un homme sur la tête, hein !

Le porte-chaîne regarda derrière lui à droite, puis à gauche, et voyant qu’il n’y avait personne à portée de l’entendre, il se montra un peu plus communicatif qu’il ne l’eût été sans doute autrement. Se rapprochant, comme quelqu’un qui va révéler un secret :

— Pour vous parler franchement, Susquesus, dit-il, c’est une question à laquelle il n’est pas facile de répondre. On dit qu’il en est ainsi, et il faut bien que cela soit ; mais je me suis souvent demandé à moi-même, si le monde était véritablement renversé pendant la nuit, comment il se faisait que je n’étais pas précipité à bas de mon lit. Il y a dans la nature des choses incompréhensibles, Susquesus, tout à fait incompréhensibles.

Cette dernière explication parut sans doute la plus satisfaisante à l’Indien, car il cessa ses questions. Quant au porte-chaîne, il changea brusquement de discours, comme s’il ne voulait pas laisser à ses compagnons le temps de réfléchir s’ils étaient sur leur tête ou sur leurs pieds.

— Ne dit-on pas, Jaap, que l’Onondago et vous, vous étiez présents à un massacre qui eut lieu dans ces environs, avant la révolution, dans l’ancienne guerre contre les Français ? Je veux parler du temps où un arpenteur, nommé Traverse, fut tué avec tous ses ouvriers ?

— C’est vrai comme l’Évangile, maître André, répondit le nègre en branlant la tête d’un air grave. J’étais ici avec Susquesus. C’était la première fois que nous sentions ensemble l’odeur de la poudre. Les Indiens français étaient à rôder par bandes nombreuses et ils surprirent maître Traverse et tous ses hommes, sans laisser la moitié d’une chevelure sur une seule tête. Allez ! je m’en souviens comme si c’était hier.