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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/170

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appelait son fils, en indiquant clairement par le son de sa voix qu’elle se doutait que l’idiot était caché dans quelque coin du bâtiment. Job s’entendit appeler plusieurs fois sans faire un mouvement ; enfin la voix de sa mère devint courroucée et presque menaçante ; alors il se leva et s’avança vers l’escalier à pas lents et avec un air d’humeur.

Lionel ne savait plus ce qu’il devait faire ; sa tante ignorait encore qu’il fût dans cette maison, et il pensait que si Abigaïl avait jugé à propos qu’il se montrait, elle l’aurait appelé de même que Job. Il avait aussi de secrètes raisons pour désirer que les visites qu’il rendait au vieux Ralph ne fussent pas connues ; en conséquence il résolut de profiter de l’obscurité pour s’assurer de ce qui se passait, et de se gouverner suivant la circonstances. Il partit sans dire adieu au vieillard, car pendant le voyage il s’était si bien accoutumé à ses manières bizarres, qu’il savait que toute tentative pour distraire son attention serait inutile dans un moment où il semblait si profondément occupé de ses pensées.

Du haut de l’escalier où Lionel s’arrêta, il vit Mrs Lecbmere, précédée de Job portant une lanterne, s’avancer vers la porte d’un pas plus ferme qu’il ne l’aurait espéré, et il entendit Abigaïl ordonner à son fils d’éclairer cette dame jusqu’à une certaine distance, où il paraît qu’une voiture l’attendait. Lorsqu’elle fut sur le seuil de la porte, sa tante se retourna, et la lumière de la chandelle que tenait Abigaïl lui tombant sur le visage, Lionel vit que son œil dur et glacial avait repris son expression ordinaire, quoiqu’un peu adoucie par un air plus pensif que de coutume.

— Que la scène qui vient de se passer soit oubliée, ma bonne Abigaïl, lui dit-elle ; l’homme qui loge chez vous est un être ignoré qui a ramassé quelques sots contes, et qui veut en profiter pour s’enrichir aux dépens de notre crédulité. J’y réfléchirai davantage ; mais n’ayez plus aucune communication avec lui. Il faut que je vous fasse changer de demeure, ma bonne femme ; cette habitation est indigne de vous et de votre fils ; il faut que je vous voie mieux logée, ma bonne Abigaïl ; oui, il le faut.

Lionel vit Abigaïl Pray tressaillir tandis que Mrs Lechmere lui parlait de Ralph comme d’un être suspect ; mais, sans répondre un seul mot, Abigaïl ouvrit la porte pour la laisser sortir. Dès qu’il eut vu sa tante partir, Lionel se hâta de descendre, et se présenta devant la vieille femme, qui parut fort surprise de le revoir.