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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/277

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Il s’était arrêté à l’entrée de la place du marché, ne sachant plus où il pourrait trouver un aide, lorsqu’il aperçut un homme accroupi contre le mur du vieux magasin flanqué de tourelles dont nous avons si souvent parlé. Lionel marcha droit à lui sans hésiter, bien que l’individu ne remuât point et ne parût même point s’apercevoir de son approche. Quoique la lune fût alors cachée derrière un nuage, il faisait encore assez clair pour que Lincoln pût juger de l’extrême misère de l’homme qui était devant lui. Ses vêtements délabrés n’attestaient que trop le motif qui l’avait engagé à chercher dans l’angle d’un mur un abri contre la tempête ; et pour soulager la faim qui le tourmentait, il rongeait avec avidité un os qui aurait été rejeté de la table du plus pauvre citoyen, malgré la disette générale. À la vue des souffrances de cet infortuné, Lionel oublia un moment le motif qui l’avait amené près de lui, et il lui adressa la parole d’une voix compatissante.

— Vous êtes dans un endroit bien froid pour manger un maigre souper, mon ami.

Sans cesser de chercher à apaiser sa faim sur son misérable aliment, et même sans lever les yeux, celui qu’il interrogeait répondit d’un ton triste et morose :

— Le roi peut fermer le port et empêcher les vaisseaux d’y entrer, mais il n’a pas le pouvoir d’empêcher le froid d’arriver à Boston, quand vient le mois de mars.

— Sur ma parole, c’est Job Pray ! Venez avec moi, mon garçon, je vous procurerai une meilleure nourriture, et une place plus chaude pour en jouir ; mais dites-moi d’abord : votre mère pourrait-elle nous procurer une lanterne ?

— Vous ne pouvez pas entrer ce soir dans le vieux magasin, dit Job d’un ton positif.

— Mais n’y aurait-il point alors dans le voisinage quelque boutique où l’on pût en acheter une ?

— Nous en trouverons là, dit Job en désignant d’un air sombre un bâtiment peu élevé de l’autre côté de la place, à travers une des croisées duquel on apercevait une faible lumière.

— Alors prenez cet argent, et allez m’acheter une lanterne et ce qu’il faut pour l’éclairer.

Job hésitait avec une répugnance visible.

— Allez, mon garçon, dit Lionel, je n’ai pas un instant à perdre, et le surplus de l’argent sera pour vous.