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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/295

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— Qui, s’écria Mrs Lechmere en se soulevant par un mouvement convulsif, comme si elle allait se jeter en bas de son lit, qui a parlé ?

— C’est moi, répondit la voix bien connue de Ralph comme il s’avançait de la porte jusqu’au chevet de son lit ; c’est moi, Priscilla Lechmere ; c’est un homme qui connaît tes actions et ta destinée.

Mrs Lechmere, respirant à peine, retomba sur ses oreillers ; le feu qui un instant avait animé ses joues avait fait place aux traces profondes de l’âge et de la maladie, et son regard fixe semblait glacé par la terreur. Un moment de réflexion suffit cependant pour ranimer ses esprits et en même temps ses profonds ressentiments. D’un geste violent elle fit signe au vieillard de se retirer, et s’écria d’une voix que la fureur qui l’étouffait rendait doublement effrayante :

— Eh quoi ! serai-je donc bravée dans un pareil moment, jusque sur mon lit de douleur ? Que ce fou ou cet importeur, quel qu’il soit, sorte à l’instant de ma présence !

Mais elle parlait à des sourds. Lionel, immobile, garda le silence. Toute son attention était portée sur Ralph, dont les traits indifférents et calmes prouvaient combien il craignait peu la violence dont on le menaçait. Cécile était appuyée sur le bras de son mari avec ce doux abandon d’une femme heureuse et fière de se sentir sous la protection de celui qu’elle aime ; mais Lionel ne la remarquait pas, tout entier à l’intérêt qu’il prenait à la soudaine apparition d’un homme dont le caractère mystérieux et singulier avait su depuis longtemps agiter son cœur de crainte et d’espoir.

— Vos portes seront bientôt ouvertes à tous ceux qui voudront entrer ici, dit le vieillard froidement ; pourquoi serais-je chassé d’une demeure où une foule insensible entrera et sortira au gré de son caprice ? Ne suis-je pas assez vieux, ou ne porté-je pas encore assez l’empreinte du tombeau pour devenir votre compagnon ? Priscilla Lechmere, vous avez vécu jusqu’à ce que le coloris de vos joues ait fait place à la teinte livide de la mort ; vos traits amaigris sont sillonnés de rides profondes, vos yeux, jadis si brillants, se sont ternis sous le poids des inquiétudes et des soucis, et cependant vous n’avez point encore vécu pour le repentir.