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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/339

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Malgré la ferme mais calme résolution que Cécile avait montrée en parlant aux soldats, et dont on voyait encore des traces dans l’éclat de ses yeux brillant d’intelligence, elle parut vouloir profiter de l’obscurité de la chambre pour cacher ses traits expressifs même à la seule femme qui s’y trouvait avec elle ; elle rabattit son capuchon jusque sur ses yeux, se plaça dans l’endroit le moins éclairé, et adressa enfin la parole à l’idiot.

— Job Pray, lui dit-elle avec une chaleur qui rendait le son de sa voix doublement intéressant, je ne suis pas venue ici dans l’intention de vous punir ni de vous intimider par des menaces : je viens vous interroger sur un sujet sur lequel il serait mal à vous, cruel même, de vouloir me tromper, ou de chercher à me rien cacher.

— Vous n’avez pas à craindre que mon fils vous dise autre chose que la vérité, dit Abigaïl ; le même pouvoir qui a détruit sa raison lui a laissé les dons du cœur ; il ne sait ce que c’est que le mensonge. Plût au ciel qu’on pût en dire autant de la femme coupable qui lui a donné le jour !

— J’espère que le témoignage que vous rendez de lui sera justifié par sa conduite, répéta Cécile ; et, avec cette assurance de sa sincérité, je vais le questionner sur-le-champ ; mais afin de vous prouver que je ne me suis pas permis cette démarche sans de bonnes raisons, je vais vous en expliquer les motifs. Elle hésita un moment, et détourna la tête, par un mouvement presque involontaire, en ajoutant ; — Je présume, Abigaïl Pray, que je dois être connue de vous.

— Oui, oui, répondit Abigaïl qui semblait regarder l’élégance de celle qui lui parlait comme un reproche fait à sa misère ; vous êtes la riche et heureuse héritière de celle que j’ai vue mettre aujourd’hui dans sa dernière demeure. Le tombeau s’ouvre pour tout le monde, riche et pauvre, heureux et malheureux. Oui, oui, je vous connais ; vous êtes l’épouse du fils d’un homme riche.

Cécile sépara les boucles de cheveux noirs qui lui tombaient sur le front, et lui dit en rougissant, mais avec un air de dignité :

— Si vous êtes informée de mon mariage, vous une pouvez être surprise que je prenne au major Lincoln l’intérêt qu’une femme doit prendre à son mari ; je désire apprendre de votre fils où est le major en ce moment.

— Quoi ! c’est de mon fils, de Job, de l’enfant méprisé de la