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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/48

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n’a pas encore vingt ans, n’est-ce pas, major Lincoln ? mais miss Danforth a le privilège de tout dire librement ; car plusieurs de ses parents, du côté de son père, ne sont que trop impliqués dans les scènes de désordre qui signalent ces temps malheureux ; mais nous avons pris soin que Cécile restât plus fidèle à son devoir.

— Et cependant Cécile elle-même a toujours refusé d’embellir de sa présence les fêtes données par les officiers anglais, dit Agnès d’un ton un peu piqué.

— Cécile Dynevor aurait-elle pu fréquenter les bals et les fêtes sans être accompagnée d’un chaperon convenable ? reprit Mrs Lechmere, et pouvait-on espérer qu’à soixante-dix ans je rentrerais dans le monde pour soutenir l’honneur de ma famille ? Mais, avec nos discussions puériles, nous empêchons le major Lincoln de prendre les rafraîchissements dont il doit avoir besoin.

— Caton, vous pouvez servir.

Mrs Lechmere dit ces derniers mots d’un air presque mystérieux[1] au nègre qui venait d’entrer. Le vieux domestique, qui probablement, d’après une longue pratique, comprenait les désirs de sa maîtresse plus par l’expression de ses yeux que par les ordres qu’elle lui donnait, commença par fermer les volets extérieurs et par tirer les rideau avec le plus grand soin. Après ces préliminaires indispensables, il prit une petite table ovale qui était cachée sous les draperies des rideaux, et la plaça devant miss Dynevor ; bientôt après, la surface polie du petit meuble d’acajou fut couverte d’abord d’une fontaine d’argent massif remplie d’eau bouillante, ensuite d’un plateau du même métal, sur lequel était étalé un déjeuner de la plus belle porcelaine de Dresde.

Pendant ces préparatifs, Mrs Lechmere avait tâché de captiver l’attention de son hôte en lui faisant différentes questions sur quelques parents qu’il avait laissés en Angleterre ; mais malgré tous ses soins elle ne put empêcher Lionel de s’apercevoir du mystère et des précautions avec lesquelles le nègre faisait ces arran-

  1. Cet air mystérieux cachait une opinion. Déjà en 1771, les habitants de Boston avaient prescrit le thé en haine de la Grande-Bretagne, qui avait maintenu l’impôt sur cette denrée de première nécessité pour les Américains comme pour les Anglais. Il n’y avait plus que les loyalistes ou plutôt les ministériels qui osassent en continuer l’usage, et il fallut presque le triomphe de la révolution pour l’amnistier. En 1774, plusieurs cargaisons de thé arrivèrent à Boston : elles furent toutes jetées à la mer par des hommes du peuple déguisés en Indiens. L’auteur mentionnera ci-après cet évènement ; mais il est nécessaire d’en parler ici pour l’intelligence de ce passage.