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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/269

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Obed, et je serais au désespoir qu’il lui arrivât malheur. Mettez-lui des entraves, et laissez-le se reposer sur l’herbage ; je vous garantis que demain matin on le retrouvera à la même place.

— Et les Sioux ! s’écria le chasseur d’abeilles ; que deviendrait asinus si ces coquins à peau rouge apercevaient ses oreilles sortant de l’herbe comme deux tiges de molène ? ils le cribleraient d’autant de flèches qu’il y a d’épingles sur la pelote d’une femme, et croiraient ensuite avoir tué le bisaïeul de tous les lapins. Mais je réponds qu’ils reconnaîtraient leur méprise à la première bouchée !

Middleton, que cette discussion prolongée commençait à impatienter, intervint alors, et, grâce à la déférence que chacun témoignait pour son grade supérieur, il réussit promptement à faire agréer une sorte de compromis. La pauvre bête, trop douce et trop timide pour opposer la moindre résistance, se laissa mettre des entraves, et s’assit tranquillement sur sa couche moelleuse, à la grande satisfaction de son maître, qui se croyait sûr de la retrouver au bout de quelques heures. Le vieillard fit de fortes représentations contre cet arrangement, et plus d’une fois il donna à entendre que le couteau était beaucoup plus sûr que les entraves ; mais les prières d’Obed, aidées peut-être de la répugnance secrète que le Trappeur avait à verser le sang, prévalurent enfin, et il fut décidé qu’on n’attenterait pas aux jours d’asinus. Ces arrangements terminés, on se mit à chercher un endroit où l’on pût prendre quelques heures de repos.

Suivant les calculs du Trappeur, ils avaient fait vingt milles depuis l’instant de leur départ. La délicate Inez commençait à plier sous le poids de la fatigue, et Hélène, qui, quoique plus forte, n’en était pas moins femme, se ressentait aussi un peu de la marche forcée qu’elle venait de faire ; Middleton lui-même n’était pas fâché de s’arrêter ; enfin il n’était pas jusqu’à Paul qui n’avouât qu’un peu de repos lui ferait grand bien. Le vieillard seul semblait ne pas sentir le besoin de réparer ses forces ; on eût dit qu’il n’était pas sujet aux infirmités ordinaires de la nature humaine, et, semblable au vieux chêne dont le tronc nu et dépouillé, battu mille fois de la tempête et fendu de toutes parts, n’en est pas moins resté droit à la même place, ce corps décharné, si près de se dissoudre, se tenait encore debout et seul ne pliait pas. Peu accoutumé au genre d’exercice qu’il venait de faire, il n’en fut pas moins le premier à chercher un couvert, et il montrait l’éner-