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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/197

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désert le séjour de l’abondance et de la sécurité. L’industrie a travaillé avec la confiance de ses forces, et le résultat en a été particulièrement heureux.

Il est à peine nécessaire de dire que, dans un pays où les lois favorisent toute entreprise louable, où elles n’imposent aucune restriction inutile, et où la main de l’homme n’a pas encore épuisé ses efforts, l’aventurier peut choisir avec plus de liberté le champ où doit se développer son esprit entreprenant. Le cultivateur traverse les terres stériles et couvertes de bruyères pour s’établir sur les bords de la rivière ; le commerçant cherche le local où il pourra le plus facilement acheter et vendre, et l’artisan quitte le village qui l’a vu naître, pour aller se fixer dans le lieu où ses travaux seront le mieux récompensés. C’est par suite de cette liberté de choix que, quoique le grand tableau de la société américaine ait été esquissé avec tant de hardiesse, il reste pourtant encore bien des traits à y ajouter pour le rendre parfait. L’émigrant a consulté son intérêt immédiat ; et quoiqu’on n’ait entièrement négligé aucune partie considérable de nos immenses possessions dont il fût possible de tirer parti, cependant aucun canton particulier ne brille encore du vernis de l’amélioration. Même encore à présent, on trouve la cité au milieu du désert, et le désert forme souvent une ceinture autour de la ville, tandis qu’elle envoie des essaims nombreux dans des scènes d’industrie plus éloignées. Après trente ans de soins paternels de la part du gouvernement, la capitale même conserve ses misérables villages, composés de maisons éparses, au centre des vieux champs abandonnés du Maryland[1], tandis que de jeunes et innombrables rivales fleurissent sur ces bords des eaux de l’Occident, dans des endroits où l’on entendait les ours gronder et les loups hurler longtemps après que cette ville portait déjà le nom de cité.

C’est ainsi qu’une civilisation fort avancée, un ordre de choses annonçant l’enfance de la société et un état de barbarie véritable, sont souvent en contact dans l’enceinte de cette république. Le voyageur qui a passé la nuit dans une chambre d’auberge dont le plus ancien pays de l’Europe n’aurait pas à rougir, peut se trouver obligé de dîner dans le shanty[2] d’un chasseur ; la route

  1. La culture du tabac épuise la terre en peu d’années, et comme nul bon système d’agriculture n’a encore été adopté pour l’engraisser, il en résulte, qu’une grande partie des anciennes plantations de tabac dans la Virginie et le Maryland restent incultes. La ville de Washington est située au milieu d’un de ces districts presque stériles.
  2. Shanty ou shantee est un mot fort usité dans les établissements les plus modernes. Il signifie strictement une cabane d’écorces et de branches d’arbres, comme on en construit souvent dans la forêt pour s’en servir temporairement ; mais les habitants des frontières l’appliquent souvent aussi à leurs propres habitations. La seule étymologie que l’auteur ait entendu citer de ce mot américain est celle qui le suppose une corruption de chiente, terme qu’on dit employé dans le Canada pour exprimer un chenil.