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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/219

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tout féminin de ses traits et sa voix mélodieuse lui restaient encore ; mais ces formes semblaient se flétrir prématurément sous l’empreinte d’un chagrin continuel ; cette physionomie était soucieuse et inquiète, même quand elle exprimait un sentiment de sympathie, et cette voix avait le plus souvent ce son aigu qui donne comme un démenti aux paroles les plus calmes. Cependant, aux yeux d’un observateur inattentif ou désintéressé, ce n’étaient là que les signes du déclin ordinaire de l’âge. Sa bienveillance était la même pour tous ceux qu’elle aimait : elle était au-dessus de cet égoïsme de la douleur qui n’a plus de sympathie pour les peines des autres. Est-il besoin de dire que c’était sa fille qu’elle avait perdue ? Si elle eût été certaine de sa mort, une chrétienne comme elle aurait renfermé dans la tombe ses espérances et ses regrets. Mais elle se disait sans cesse que sa fille n’était morte que pour elle ; sa résignation était apparente. Les regrets d’une mère parlent plus haut que toutes les consolations.

L’imagination de Ruth Heathcote n’avait jamais trompé sa raison dans des jours plus heureux. Ses visions de bonheur avec l’homme que son jugement et son inclination avaient choisi pour époux avaient été de nature à pouvoir être justifiées par l’expérience et la religion ; mais elle était destinée à apprendre qu’il existe dans le chagrin une poésie terrible qui l’emporte sur toutes les peintures d’une imagination exaltée. La brise d’été murmurait-elle, elle croyait entendre sa fille endormie respirer doucement ; il lui semblait que ses plaintes arrivaient à son oreille avec les mugissements du vent d’hiver. La question empressée, la tendre réponse à faire à son enfant, se présentaient à son esprit au milieu de tous ses soins domestiques. Les cris joyeux des enfants du village, que la brise du soir apportait, n’étaient pour elle qu’un son funèbre ; et la vue des amusements de l’enfance était une angoisse pour son cœur. Deux fois elle avait été mère depuis l’incursion des sauvages ; et, comme si elle eût été condamnée à voir toujours ses espérances se flétrir, les innocentes créatures auxquelles elle avait donné le jour reposaient côte à côte près de la base du fort ruiné. Elle s’y rendait souvent ; mais c’était moins pour pleurer que pour être victime des cruels souvenirs qu’évoquait son imagination. Elle pensait avec calme et même avec consolation aux enfants que la mort lui avait ravis ; mais quand ses pensées s’élevaient au séjour de la paix éternelle, et qu’elle essayait de revêtir d’un corps les formes d’un bienheu-