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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/220

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reux, ses yeux y cherchaient celle qui n’y était peut-être pas, plutôt que les êtres dont elle croyait la félicité certaine. Quelque pénibles, quelque cruelles que fussent ces idées, il en était d’autres encore plus insupportables parce qu’elles se présentaient sous les traits d’une réalité plus certaine et qu’elles appartenaient à ce monde. Les habitants de la vallée pensaient généralement, et peut-être était-ce un bonheur pour eux, qu’une mort prompte avait scellé le sort de ceux qui étaient tombés entre les mains des sauvages lors de l’incursion qu’ils avaient faite. Ce résultat était conforme à leurs usages bien connus, quand ils étaient vainqueurs, et aux passions violentes qui les agitaient. Rarement ils épargnaient la vie de leurs captifs, à moins que ce ne fût pour ajouter de nouvelles cruautés à leur vengeance, ou pour offrir à une mère de leur tribu quelque consolation, en remplaçant par un prisonnier le fils qu’elle avait perdu. Ruth trouvait quelque consolation à se représenter sa fille sous la forme souriante d’un chérubin dans les cieux ; mais quand elle se la figurait encore vivante, exposée aux frimas de l’hiver, succombant sous les chaleurs brûlantes de l’été, réduite à une abjecte servitude, et souffrant avec patience le joug insupportable d’un maître, c’était pour elle une angoisse mortelle.

Quoique le père ne fût pas tout à fait exempt d’un semblable chagrin, il n’en était pas aussi constamment accablé. Il savait lutter en homme contre l’affliction. Quoique fermement convaincu que la mort avait mis les malheureux prisonniers à l’abri de nouvelles souffrances, il n’avait rien négligé de ce que pouvaient exiger sa tendresse pour une épouse désolée, son amour paternel et ses devoirs comme chrétien.

La terre était couverte de neige lors de l’incursion des Indiens, et le dégel qui survint immédiatement après avait effacé toutes les traces qui auraient pu indiquer la marche de ces ennemis rusés. On ne savait à quelle tribu ni même à quelle nation appartenaient ces maraudeurs. La paix de la colonie n’avait pas encore été ouvertement troublée, et cette attaque avait été un symptôme violent et féroce des maux dont on était menacé, plutôt que le commencement véritable des hostilités qui avaient depuis ce temps ravagé les frontières. Mais si la politique obligeait les colons à maintenir la paix, l’affection privée n’oublia aucun moyen pour effectuer la délivrance des infortunés captifs s’il était possible qu’ils eussent été épargnés.