Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son mari, une belle fiancée écoutant les hauts faits de celui que son imagination lui représentait comme un héros, n’aurait pas montré moins d’indifférence pour les souffrances humaines, que la femme du sachem regardant la pantomime de ces exploits qui avaient obtenu à son mari une si haute renommée. Il n’était que trop évident que cette représentation, toute cruelle et sauvage qu’elle était, n’offrait à son esprit que des tableaux qui devaient plaire à la compagne choisie d’un guerrier. Ses traits et ses yeux proclamaient le plaisir que devait lui causer le triomphe des Indiens ; et lorsque Whittal, excité par ses propres efforts, se livra à ces jeux cruels, il fut récompensé par un nouvel éclat de rire. Les accents de la voix de Narra-Mattah, dont la douceur offrait un si pénible contraste avec cet accès de joie involontaire, résonnèrent comme un glas funèbre aux oreilles de Ruth et détruisirent à ses yeux toute la beauté morale de sa fille. Cette mère désolée posa son front pâle sur sa main, et parut méditer pendant longtemps sur la dépravation d’une âme qui promettait jadis d’être si pure.

Les colons n’avaient pas encore renoncé à tous ces liens naturels qui les unissaient à l’hémisphère oriental. Leurs légendes, leur fierté, et souvent leurs souvenirs, continuaient la chaîne d’amitié, et on pourrait ajouter de fidélité, qui les unissait au pays de leurs ancêtres. Dans l’imagination de leurs descendants, aujourd’hui même, le beau idéal de la perfection, en tout ce qui a rapport aux qualités humaines et au bonheur humain, est lié aux images du pays dont ils sont descendus. On sait que l’éloignement adoucit les formes des objets : on peut porter ce jugement au moral comme au physique. Les contours bleuâtres d’une montagne qui se confondent avec les nuages ne sont pas plus beaux que les choses moins matérielles dont nos rêveries nous présentent l’image : mais le voyageur, lorsqu’il s’approche, trouve trop souvent la difformité où il avait placé une beauté imaginaire. Il n’était donc pas surprenant que les habitants des provinces de la Nouvelle-Angleterre mêlassent les souvenirs du pays qu’ils appelaient toujours leur patrie, avec la plupart des images poétiques de leurs songes. Ils avaient conservé le langage, les livres et la plupart des habitudes des Anglais ; mais différentes circonstances divisèrent leurs intérêts, et les opinions particulières occasionnèrent les dissensions que le temps a augmentées, et qui ne laisseront bientôt plus rien de commun aux deux peuples,