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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/374

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compagne. Il y avait dans ce regard tout l’amour d’un mari.

— Fleur des terres découvertes, dit-il, le Manitou de ta race te placera dans les champs de tes pères. Le soleil brillera sur toi, et le vent d’au-delà du lac salé poussera les nuages dans les bois. Un juste et grand chef ne peut pas fermer les oreilles au bon esprit de son peuple ; le mien appelle son fils pour aller chasser parmi les braves qui sont partis pour la longue route. Le tien montre un autre chemin. Va, entends sa voix et obéis. Que ton esprit soit comme une immense clairière ; que tous ses nuages soient du côté des bois ; qu’il oublie le rêve qu’il a fait parmi les arbres ; c’est la volonté du Manitou.

— Conanchet exige beaucoup de son épouse : son âme n’est que l’âme d’une femme.

— Une femme des visages pâles ; qu’elle rejoigne maintenant sa tribu. Narra-Mattah, ton peuple raconte d’étranges traditions. Il dit qu’un juste mourut pour les hommes de toutes les couleurs. Je ne sais pas ; mais Conanchet est un enfant parmi les hommes habiles, et un homme parmi les guerriers. Si cela est vrai, il attendra sa femme et son fils dans les heureuses terres de chasse, et ils viendront le rejoindre. Il n’y a point de chasseur des Yengeeses qui puisse tuer un aussi grand nombre de daims. Que Narra-Mattah oublie son chef jusqu’à ce temps, et lorsqu’elle l’appellera par son nom, qu’elle parle haut, car il sera bien aise d’entendre encore sa voix. Il prend congé de sa femme avec un cœur triste. Elle mettra une petite fleur de deux couleurs devant ses yeux, et elle la verra croître avec bonheur. Maintenant qu’elle s’éloigne. Un Sagamore va mourir.

La jeune femme, attentive, écoutait chaque syllabe lente et mesurée, comme un être élevé dans les superstitions eût écouté les paroles d’un oracle. Mais, habituée à l’obéissance et anéantie par la douleur, elle n’hésita pas plus longtemps. La tête de Narra-Mattah se pencha sur son sein lorsqu’elle quitta son mari, et son visage était caché dans sa robe. Lorsqu’elle passa devant Uncas, ses pas étaient si légers qu’ils ne produisaient pas le moindre bruit ; et lorsque le Mohican vit Narra-Mattah se détourner avec précipitation, il leva un de ses bras en l’air. Les terribles muets se montrèrent un instant de derrière les arbres et disparurent aussitôt. Conanchet tressaillait, et il sembla qu’il allait s’élancer en avant ; mais, reprenant ses sens par un violent effort sur lui-même, son corps s’appuya contre l’ar-