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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/51

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et sombre rideau des arbres. Son impatience la trompait sur la marche du temps ; et, poussée par une inquiétude affreuse qui n’avait aucun objet positif, elle tira le seul verrou qui fermait la poterne, et se hasarda hors de la barrière. Son imagination lui persuadait que cette barrière limitait la vue. Les minutes succédaient aux minutes sans apporter à Ruth aucun soulagement. Pendant ces moments affreux elle se convainquit de plus en plus de la position dangereuse dans laquelle lui et tous ceux qui étaient chers à son cœur se trouvaient placés. La tendresse conjugale l’emporta ; quittant l’éminence, elle commença à marcher doucement dans le sentier que son mari avait suivi, jusqu’à ce qu’enfin la crainte la porta insensiblement à hâter ses pas. Elle s’arrêta seulement lorsqu’elle fut au milieu de la partie défrichée sur l’éminence où son père avait fait halte le soir même pour contempler l’amélioration croissante de ses domaines. Là elle s’arrêta tout à coup, car elle crut voir une figure humaine sortir de la forêt dans ce lieu plein d’intérêt pour elle et sur lequel ses yeux n’avaient pas cessé d’être attachés. C’était l’ombre d’un nuage plus épais que les autres, qui jetait son obscurité sur les arbres ainsi que sur l’endroit qui touchait à la forêt. Dans ce moment Ruth se souvint qu’elle avait imprudemment laissé la poterne ouverte ; et, partagée entre sa tendresse pour son mari et celle qu’elle éprouvait pour ses enfants, elle se disposait à revenir sur ses pas, afin de réparer une négligence que l’habitude ainsi que la prudence rendaient presque impardonnable. Les yeux de la jeune mère, car le sentiment de ce caractère sacré prédominait alors ; ses yeux étaient fixés sur la terre, tandis qu’elle avançait sur un chemin inégal ; et sa pensée était si remplie de l’omission qu’elle se reprochait sévèrement, qu’elle regardait tous les objets comme sans les voir.

Malgré cette préoccupation excessive, ses regards rencontrèrent enfin quelque chose qui la rappela subitement à elle-même et la fit frémir de terreur ; il y eut un moment où sa frayeur participa de la folie. La réflexion ne revint que lorsque Ruth eut atteint une assez grande distance du lieu où cet objet terrible s’était montré à sa vue. Alors, pendant un seul et affreux moment, elle s’arrêta, comme quelqu’un qui réfléchit sur le parti qu’il doit prendre ; l’amour maternel prévalut, et, plus agile que le daim de ces forêts sauvages, cette mère effrayée retournait près de sa famille sans défense. Haletante et respirant à peine, elle