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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/52

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atteignit la poterne qui fut aussitôt fermée au triple verrou avec le geste irréfléchi et rapide de l’instinct.

Pour la première fois depuis quelques minutes, Ruth respira régulièrement et sans peine. Elle essaya de rassembler ses idées afin de réfléchir à ce qu’exigeaient la prudence et son affection pour Content, qui était encore exposé au danger auquel elle avait échappé. Son premier mouvement fut de donner le signal accoutumé qui rappelait les laboureurs des champs, ou réveillait ceux qui étaient endormis, en cas d’alarme ; mais une réflexion plus juste la convainquit qu’un tel parti pourrait être fatal à celui qui balançait dans ses affections le reste du monde ; ce combat intérieur ne se termina que lorsqu’elle aperçut distinctement son mari qui sortait de la forêt par le même point où il y était entré. Ce sentier conduisait malheureusement devant l’endroit où une terreur soudaine avait saisi l’esprit de Ruth. Elle aurait tout donné pour savoir comment l’avertir d’un danger dont son imagination était pleine, sans pouvoir communiquer cet avertissement à cet objet terrible qui causait son effroi. La nuit était paisible ; et quoique la distance fût considérable, elle n’était pas assez grande pour désespérer des chances de succès ; sachant à peine ce qu’elle faisait, et cependant guidée par une prudence instinctive, celle qu’une exposition constante au danger fait passer dans toutes nos habitudes, cette femme tremblante fit un effort.

— Mon mari ! mon mari ! s’écria-t-elle, commençant d’abord d’une voix plaintive, qui s’éleva peu à peu avec l’énergie que donne quelquefois la crainte ; mon mari ! reviens vite, notre petite Ruth est à l’agonie. Au nom de sa vie et de la tienne, presse le galop de ton cheval ; ne va pas dans les écuries, mais avance en toute hâte vers la poterne, elle te sera ouverte.

Ces mots eussent résonné d’une manière affreuse sans doute aux oreilles d’un père, et il n’y a pas de doute que si la faible voix de Ruth eût envoyé les sons aussi loin qu’elle le désirait, ils auraient produit l’effet qu’elle en attendait ; mais elle appela en vain ; sa douce voix était trop faible pour pénétrer à travers un si grand espace. Cependant elle eut raison de penser que ses paroles n’avaient pas été entièrement perdues, car pendant un instant son mari s’arrêta et parut écouter ; une autre fois il excita le pas de son cheval ; mais en vain parut-il avoir entendu quelque chose, aucun signe n’annonça qu’il eût compris.