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Page:Coppée - Œuvres complètes, Prose, t1, 1892.djvu/241

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une demi-douzaine d’oies que chas-sait devant elle avec une gaule une petite fille de huit ou dix ans.

Le capitaine, en arrêtant son regard distrait sur cette enfant, s’aperçut qu’elle avait une jambe de bois.

Il n’y avait rien de paternel dans le cœur de ce soudard. C’était celui d’un célibataire endurci. Lorsque jadis, dans les rues d’Alger, les petits mendiants arabes le poursuivaient de leurs prières importunes, le capitaine les avait souvent chassés d’un coup de cravache ; et les rares fois qu’il avait pénétré dans le ménage nomade d’un camarade marié et père de famille, il était parti en maugréant contre les bambins criards et malpropres qui avaient touché avec leurs mains grasses aux dorures de son uniforme.

Mais la vue de cette infirmité particulière, qui lui rappelait le douloureux spectacle des blessures et des amputations, émut cependant le vieux soldat. Il éprouva presque un serrement de cœur devant cette chétive créature, à peine vêtue d’un jupon eu loques et d’une mauvaise chemise, et qui courait bravement derrière ses oies, son pied nu dans la poussière, en boitant sur son pilon mal équarri.